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© Christian Carat Autoédition

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Le temps perdu

Le temps gagné

Acte III : Sophocle

Parodos

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte I : Origines

L'éruption

Les conséquences

Deuxième lettre

  

Le Cataclysme

Sur le site archéologique de l’antique cité minoenne de Palaikastro/Roussolakkos, une statue de jeune homme datant du début de l’ère mycénienne a été découverte, exposée aujourd’hui au musée archéologique de Sitia en Crète sous la référence 8506. La majeure partie est en ivoire d’hippopotame, le crâne est en serpentinite, les yeux sont en cristal de roche, le pagne et les sandales sont plaqués d’or. Le personnage, bras repliés contre la poitrine, debout, jambe gauche en avant, est très réaliste, on voit les veines de ses mains et les ongles de ses pieds. La richesse des matériaux utilisés et la finesse de la réalisation font de cette œuvre un objet de haute valeur, confère à d’éventuels voleurs la garantie d’un gros revenu au marché noir. Or cette statuette n’a pas été volée ni vendue, elle a été saccagée délibérément. Ses fragments ont été exhumés entre 1987 et 1990 sur un large périmètre, à l’entrée de la maison 5 en bordure de la rue conduisant au port, certains morceaux à dix mètres l’un de l’autre, ce qui exclut l’hypothèse d’un accident. Le visage n’a pas été retrouvé (ni la partie entre le thorax et les hanches). Dans un livre synthétique Le kouros de Palaikastro, une statuette chryséléphantine minoenne et son contexte égéen à l’âge du bronze publié en 2000 rassemblant toutes les données et toutes les interrogations sur le sujet, l’archéologue Joseph Alexander MacGillivray déjà mentionné, responsable des fouilles à Palaikastro/Roussolakkos, et son confrère archéologue Jan Driessen concluent que la dégradation volontaire de cette statuette trahit une remise en cause du culte dont elle était l’objet. Divers indices que nous n’examinerons pas ici suggèrent que le jeune homme figuré est le jeune Zeus, qui aurait passé ses premières années dans la grotte de Psychro sur laquelle nous reviendrons plus loin, jouissant de la complicité de certains Courètes contre la tyrannie de son père Kronos. Peu importe. A une époque indéterminée à la fin de l’ère minoenne ou au début de l’ère mycénienne, un ou plusieurs individus ont arraché la statuette du coffre où elle était enfermée, ou du socle sur lequel elle était exposée, ils pouvaient se l’approprier, s’enrichir en la revendant, la démanteler pour réutiliser ses matériaux précieux, mais non : ils l’ont retirée de son écrin et l’ont fracassée avec fureur et acharnement, ils ont massacré sa face, et ils ont laissé méprisamment ses matériaux précieux éparpillés sur le sol. Si elle représentait un dieu minoen, les casseurs ont voulu signifier par leur acte qu’ils ne croyaient plus dans ce dieu minoen. Si elle représentait le jeune Zeus comme le supposent les historiens autour de MacGillivray et Driessen, les casseurs - peut-être liés au sanctuaire de la colline Petsophas au sud de la cité - ont voulu signifier au contraire leur rejet du nouveau culte au dieu rebelle Zeus et leur fidélité farouche aux cultes anciens hérités des ancêtres sémitiques levantins, notamment le respect à son père Kronos et aux Titans. Dans les deux cas, cette statuette brisée témoigne d’une opposition profonde entre ceux qui la possédaient et ceux qui l’ont détruite. En ce sens, elle est très représentative de l’ère mycénienne qui se caractérise par un déchirement entre ceux qui veulent maintenir les rituels anciens et ceux qui, à cause du cataclysme de Santorin, n’y croient plus et les repoussent, en quête de nouvelles réponses aux questions existentielles.


Parmi les rituels anciens, l’un d’eux nous intéresse particulièrement, bien documenté par les textes et par l’archéologie, le sacrifice des prémices. Ce rituel consiste à offrir au dieu concerné la première production d’un domaine, afin de remercier le dieu d’avoir favorisé cette production et de l’inciter à apporter ses bienfaits sur les productions futures. Par exemple, à l’époque des moissons, la première gerbe de blé coupée n’est pas jetée dans l’entrepôt avec les autres, elle est déposée solennellement sur un autel dédié au dieu de l’agriculture, pour remercier ce dieu d’avoir favorisé la moisson et pour l’inciter à agir de même pour la moisson prochaine. A l’époque des vendanges, même chose : la première grappe de raisin coupée n’est pas jetée dans la cuve avec les autres, elle est déposée solennellement sur un autel dédié au dieu de la vigne ou au dieu de la pluie, pour le remercier d’avoir favorisé cette récolte et pour l’inciter à agir pareillement sur la récolte suivante. Cette pratique s’étend à tous les domaines de la vie privée et de la vie publique. En période de crise, elle peut s’appliquer aussi au domaine humain. Afin d’attirer la bienveillance du dieu de l’Orage ou du dieu de la guerre sur la famille, le père offre son premier enfant sur l’autel du dieu en question : par ce sacrifice physique de l’aîné, le père de famille pense remercier le dieu de lui avoir donné des cadets en bonne santé, et il espère que le dieu protégera cette progéniture survivante dans les années à venir, la préservera des maladies ou de la mort au combat ou des éventuels pillages sanglants des adversaires vainqueurs.


Le sacrifice des prémices est bien attesté en Anatolie. Sur le continent, nous verrons cela dans notre prochain paragraphe, il est pratiqué dans la région du mont Sipyle (qui a gardé son nom jusqu’à aujourd’hui sous la forme "Spil", 38°34'01"N 27°27'17"E), dans l’arrière-pays de Smyrne/Izmir. Au milieu de l’ère mycénienne, un nommé "Tantale" y habite comme vassal de Tros petit-fils de l’Atlante Dardanos, Tros laissera son nom au pays qu’il domine : la "Troade" voisine septentrionale de la région du Sipyle, et à la cité locale la plus importante qu’il a conquise : "Troie". Tantale refuse de sacrifier son fils Pélops sur l’autel d’on-ne-sait-quel dieu minoen, il provoque ainsi la colère de ce dieu, ou plus sûrement la colère des prêtres qui le servent, et la colère de Tros, qui le punissent en l’empêchant de s’alimenter. La mythologie tirera de cet épisode l’image de l’eau et des fruits qui s’écartent de Tantale dès qu’il s’en approche. Le conflit se poursuit à la génération suivante entre Ilos fils de Tros et Pélops fils de Tantale. Ce dernier finalement vaincu est contraint de fuir l’Anatolie pour aller se réfugier de l’autre côté de la mer Egée, sur le continent européen, sur la vaste presqu’île à laquelle il laissera son nom : le "Péloponnèse", où il aura une nombreuse descendance. Tros le roi de Troie a un autre fils, Ganymède, sur lequel nous nous attarderons aussi dans notre prochain paragraphe : nous verrons que, derrière la fable mythologique très édulcorée de Ganymède "enlevé" par les dieux enamourés, on doit comprendre que Tros a sacrifié froidement son fils Ganymède à on-ne-sait-quels dieux minoens afin que ceux-ci l’aident à capturer des chevaux sauvages et à constituer un escadron de guerre. A la fin de l’ère mycénienne, un autre sacrifice de prémices est mentionné à Troie. La navigation dans l’Hellespont est perturbée par des courants défavorables, cela affecte les finances de la cité, qui puise une part importante de ses revenus dans la navigation marchande hellespontique. Laomédon fils d’Ilos roi de Troie pense trouver la solution en sacrifiant sa fille Hésione au dieu minoen Poséidon - alias Addu le dieu sémitique de l’Orage, selon notre hypothèse expliquée plusieurs fois - afin que celui-ci anéantisse le monstre marin censé provoquer ces courants défavorables. Hésione avant d’être immolée et jetée à la mer sera sauvée par Héraclès, elle épousera Télamon auquel elle donnera un fils : Teucros. Dans les îles, le sacrifice des prémices est remplacé par l’exécution d’un criminel, ou d’un captif de guerre ou de razzia, ou d’un animal. A Rhodes, on sacrifie rituellement les condamnés à mort ("A Rhodes, le sixième jour du mois de metageitnion [mi-août à mi-septembre dans le calendrier chrétien], on immolait un homme à Kronos. Plus tard on remplaça cet antique usage par un autre : on gardait un condamné à mort jusqu’aux Kronion ["Kroníwn", fête en l’honneur de Kronos lors du solstice d’hiver, équivalent des Saturnales chez les Romains], et quand arrivait le temps des fêtes on le conduisait hors de la ville pour l’enivrer et l’immoler face au temple d’Aristoboulè ["AristoboÚlh/Bonne conseillère", surnom de la déesse atlante Athéna]", Porphyre de Tyr, Sur l’abstinence de consommation de chair animale II.54). A Chio et à Ténédos, l’homme sacrifié est démembré ("A Chio on sacrifiait un homme à Dionysos Omadios ["Wm£dioj/qui consomme cru", par extension "le Cruel"] et on le démembrait, même chose à Ténédos selon Euelpis de Carystos", Porphyre de Tyr, Sur l’abstinence de consommation de chair animale II.55). Sur les côtes nord de l’Anatolie, nous verrons cela aussi dans notre prochain paragraphe, Athamas fils d’Eole doit être sacrifié afin que les dieux "purifient le pays" (Hérodote, Histoire VII.197), mais il est sauvé in extremis par un nommé "Kytissoros fils de Phrixos" originaire de la cité d’Aia en Colchide. Devenu adulte, Athamas s’unit à une "Néphélé" d’origine inconnue qui lui donne un fils, Phrixos (en hommage à Phrixos père de Kytissoros), et une fille, Hellé (en hommage à Hellen père d’Eole). Athamas épouse ensuite la princesse Ino fille du Sémite levantin Cadmos, héritière du trône de La Cadmée en Béotie, qui lui donne d’autres enfants. Ino fomente la perte de Phrixos et Hellé, qui gênent l’ascension de ses propres enfants : elle organise une famine dans le pays et paie des prêtres pour réclamer le sacrifice de Phrixos et Hellé, soi-disant pour contenter les dieux et mettre fin à cette fausse famine. Sous la pression, Athamas consent à l’immolation de ses deux aînés. Mais Néphélé sauve les deux enfants en les exfiltrant de Béotie, Hellé se noiera accidentellement lors du passage du détroit séparant le continent européen du continent asiatique qui portera désormais son nom (l’"Hellespont", littéralement "la mer d’Hellé", aujourd’hui le détroit des Dardanelles), Phrixos réussira à se réfugier à Aia en Colchide. Dans le Pont-Euxin/mer Noire, les Taures qui vivent en Chersonèse taurique/péninsule de Crimée sacrifient les marins étrangers qu’ils attrapent à proximité de leurs côtes. On soupçonne que ces sacrifices sont destinés à la déesse Artémis (dont nous avons dit dans notre paragraphe précédent qu’elle est peut-être apparentée à la déesse guerrière atlante Athéna ou à la déesse levantine de l’amour Ishtar/Astarté) car après la guerre de Troie, au tout début de l’ère des Ages obscurs, Oreste viendra déposer en Chersonèse taurique/péninsule de Crimée une statue d’Artémis dont sa sœur Iphigénie était servante, or par la suite les Taures pratiqueront leurs sacrifices en mémoire d’Iphigénie ("[Les Taures] sacrifient à la déesse Vierge tous les naufragés et tous les Grecs qu’ils capturent au large de leurs côtes. Voici comment ils procèdent : ils commencent la cérémonie, puis ils assomment la victime d’un coup de massue, (certains disent qu’ils la jettent du haut du roc escarpé où est bâti leur temple), et ils conservent la tête fixée sur un pieu […]. Ils prétendent que la déesse à laquelle ils offrent ces sacrifices est Iphigénie fille d’Agamemnon", Hérodote, Histoire IV.103 ; "Les Taures, rendus célèbres par Iphigénie et Oreste, ont des mœurs barbares et la réputation affreuse d’immoler les étrangers sur leurs autels", Pomponius Mela, Description de la terre II.1). Au sud de l’Anatolie, sur l’île de Chypre, le sacrifice humain est remplacé à une date incertaine par le sacrifice d’un bœuf ("A Salamine [de Chypre, fondée par Teucros fils de Télamon au tout début de l’ère des Ages obscurs], appelée jadis ‟Coronis”, au mois d’aphrodisios des Chypriotes, on sacrifiait un homme à Agraulè, fille de Cécrops et de la nymphe Agraule. La coutume a duré jusqu’à l’époque de Diomède, elle changea ensuite, l’homme fut sacrifié à Diomède, une enceinte unique entoura le temple d’Athéna, celui d’Agraulè et celui de Diomède. La victime conduite par les éphèbes contournait l’autel trois fois, puis le prêtre la frappait d’une lance à la gorge et la brûlait sur le bûcher. Cette coutume fut supprimée par Diphilos, roi de Chypre à l’époque de Séleucos le théologien, qui la remplaça par le sacrifice d’un bœuf. La divinité ayant admis ce remplacement, le sacrifice conserva sa valeur", Porphyre de Tyr, Sur l’abstinence de consommation de chair animale II.54-55).


Dans notre prochain paragraphe nous étudierons de façon détaillé le sacrifice des prémices au Levant, notamment le plus célèbre, celui d’Abraham sur son fils (Isaac selon la Torah, Ismaël selon le Coran), organisé pour "les dieux/Elohim" sémitiques levantins et interrompu par le Dieu unique "Yahvé", et remplacé par le sacrifice d’un bélier. Nous verrons que cette pratique infanticide perdure très longtemps après l’ère mycénienne, et que la religion portée par les prêtres israélites après Moïse au XIIème siècle av. J.-C. jusqu’à Jérémie au VIème siècle av. J.-C. se définit justement par sa lutte contre l’antique sacrifice des prémices toujours pratiqué par les Judéens (surtout dans la vallée de Hinnom au sud de Jérusalem) et par les Samaritains. Sanchoniathon de Berytos/Beyrouth déjà cité, auteur d’une Histoire des Phéniciens en huit livres écrite en phénicien peu avant ou pendant la guerre de Troie vers -1200, qui n’a pas survécu sous sa forme originale mais dont la traduction en grec par Philon de Byblos au début de l’ère impériale romaine a été conservée à l’état fragmentaire par Porphyre de Tyr (philosophe antichrétien du IIIème siècle) puis par Eusèbe de Césarée, dit que le sacrifice des prémices est pratiqué très largement et depuis très longtemps sur toute la côte levantine entre Anatolie et Egypte ("Dans les grandes calamités publiques, la guerre, la famine, la sécheresse, les Phéniciens élisaient leurs amis et les sacrifiaient à Kronos. On trouve beaucoup d’exemples de cette coutume dans leur Histoire écrite par Sanchoniathon, traduite en grec en huit livres par Philon de Byblos", Porphyre de Tyr, Sur l’abstinence de consommation de chair animale II.56). Sanchoniathon explique que le qualificatif "Israël" porté par Jacob le petit-fils d’Abraham désigne à l’origine le dieu Kronos qui, destiné à être immolé dans un sacrifice de prémices par son père "El" ("Dieu" en sémitique) tyrannique au point de devenir "El Anu/Ili Anu" ou "Elion" ("Dieu du Ciel" en sémitique, hellénisé plus tard en "Ouranos" dieu du ciel, ou en "Hélios" personnification du Soleil trônant au milieu du ciel), s’est révolté contre son père, puis, devenu adulte et tyran à son tour, a voulu imiter son père en commettant un sacrifice de prémices sur son fils "Ieoud/IeoÚd" (étymon de "Yahvé" si on prononce seulement "Ieou" sans le "d/d" final, ou de "Juda" si on prononce le "d/d" final ; "Le philosophe Porphyre, qui a écrit sur les juifs [probablement dans son essai Contre les chrétiens aujourd’hui perdu], dit sur Kronos : “[…] Une coutume chez les anciens imposait aux chefs de la cité ou du peuple, en cas de calamité ou de danger, pour empêcher la destruction générale, d’égorger leur enfant préféré, de le sacrifier aux génies vengeurs comme victime expiatoire lors de cérémonies mystérieuses. Kronos, que les Phéniciens appellent « Celui qui lutte contre El » ["Hl prosagoreÚousin", littéralement "qui plaide/agoreÚomai contre/prÒj le Dieu/El", stricte traduction de l’hébreu "Israël"] divinisé après sa mort et confondu avec l’étoile homonyme ["Hélios/le Soleil", dérivé de l’étymon sémitique divin "el/ili"], régnait sur le pays, une nymphe locale appelée « Anobret » lui avait donné un fils unique appelé « Ieoud », qui chez les Phéniciens signifie « enfant unique » ["monogenoàj"] : une guerre menaçant le pays, il vêtit son fils des ornements royaux pour le sacrifier sur un autel qu’il avait érigé lui-même", Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique I.10 ; Eusèbe de Césarée recopie ce passage au livre IV paragraphe 16 de la même œuvre, en expliquant que Porphyre de Tyr l’a extrait du livre I de l’Histoire des Phéniciens de Sanchoniathon traduit en grec par Philon de Byblos). A Tyr, les habitants se sont placés sous l’autorité d’un personnage divinisé incarnant leur cité, un "Melkart" ou littéralement un "mlk/saint du port/karth" en phénicien ("karth" est une prononciation locale de "trʃ/comptoir maritime", où le [t] initial est devenu un [k] comme expliqué précédemment ; l’origine tyrienne de Melkart est confirmée par l’inscription bilingue du cippe dit "de Melkart" du IIème siècle av. J.-C. conservé au musée du Louvre à Paris en France sous la référence AO 4818, où Melkart est qualifié de "b’l ṣr/baal Tyr" en phénicien, soit "maître [ou seigneur] de Tyr"), souvent représenté avec les mêmes traits et dans la même attitude qu’Addu le dieu sémitique de l’Orage (alias Shadday chez les hébreux, alias Seth chez les hyksos en Egypte, alias Poséidon chez les Crétois minoens), menton levé, coiffé d’un hedjet, jambe gauche en avant. Pour l’anecdote, l’appétit des Tyriens pour les voyages maritimes et les colonisations lointaines a peut-être affublé Melkart d’un qualificatif "Harkel", soit "le Voyageur, l’Itinérant" en phénicien, hellénisé à l’ère mycénienne ou à l’ère des Ages obscurs en "Héraclès", autrement dit l’assimilation du tardif Héraclès fils d’Alcmène à Melkart le baal/maître de Tyr découlerait d’un calembour de traducteurs. Le sacrifice des prémices destiné à Melkart, le "molk", qui reprend l’étymon saint "mlk", s’est lexicalisé et s’est répandu dans tout le Levant pour désigner généralement les sacrifices d’enfants dans un cadre rituel. Pour les prêtres israélites, Melkart deviendra le symbole malfaisant et dégradant des villes, par opposition à la campagne ou au désert qui sauvent et régénèrent. Les Tyriens recourront longtemps au molk, jusqu’au IVème siècle av. J.-C. dans l’espoir de dresser leurs dieux sémitiques contre l’envahisseur grec Alexandre le Grand. Au sud Levant, nous nous intéresserons aussi à la fable mythologique de Persée et Andromède, nous verrons que derrière l’image du Grec Persée délivrant la Sémitique Andromède promise en pâture à un monstre marin se cache un énième sacrifice de prémices, l’immolation d’une jeune fille organisée par son père Céphée roi de Joppé/Tel-Aviv dans l’espoir que cela contentera Poséidon et le poussera à anéantir le supposé monstre marin à l’origine des tempêtes et des crues ravageant cette cité portuaire, infanticide interrompu in extremis par Persée - comme celui d’Hésione interrompu in extremis par Héraclès à Troie.


Dans notre paragraphe précédent, nous avons expliqué comment les Egyptiens durant l’ère minoenne ont été débordés peu à peu par les arrivées régulières d’immigrés hyksos aamus/asiatiques. Nous avons vu que ces hyksos aamus/asiatiques sémitiques sont de deux types : au nord ce sont des Levantins qui longent la côte méditerranéenne et passent par le poste-frontière de Tjarou/Tell Heboua pour aller s’installer sur la branche pélusiaque du Nil autour d’Avaris/Tell el-Daba, au sud ce sont des anciens nomades du Hedjaz qui traversent le Sinaï et passent par le wadi Tumilat pour aller s’installer à la pointe du delta du Nil, dans la région d’Héliopolis/Aîn-ech-Chams dans la banlieue nord-est de Memphis. Dans notre prochain paragraphe, nous verrons que cette opposition entre hyksos du nord et hyksos du sud se projette sur la mythologie égyptienne locale, plus précisément sur le mythe d’Osiris. Le dieu égyptien Osiris est très ancien, très antérieur à l’ère minoenne et à l’arrivée des hyksos, il n’est sans doute qu’une fable sur le cycle des saisons : Osiris régnait sur l’Egypte avec sa sœur-épouse Isis, il a été tué et démembré par son frère Typhon jaloux, mais Isis a rassemblé les membres de son frère-époux Osiris et lui a redonné la vie, un culte d’adoration à Osiris et d’exécration à Typhon a été instauré à Bousiris/Abousir (hellénisation de "Per-Osiris" ou "Maison-d’Osiris" en égyptien) dans la banlieue sud de Memphis, Typhon a la forme d’un serpent et est associé à la couleur rouge, il semble une incarnation du khamsin et/ou du limon rouge éthiopien qui endommagent les champs de part et d’autre du Nil lors des crues annuelles. Selon Plutarque, le sacrifice humain était pratiqué avant l’ère minoenne à Nekheb sur la rive droite du Nil (à quatre-vingt-dix kilomètres en amont de Ta-Opet/Thèbes, aujourd’hui El-Kab en Egypte, 25°07'07"N 32°47'52"E), en hommage à Nekhbet la protectrice de la haute Egypte, que les Grecs assimilent à Ilythie fille d’Héra, déesse des accouchements, les victimes étaient immolées durant les périodes de calamité attribuées à Typhon ("Dans la cité d’Ilythie on brûlait vifs des hommes qualifiés de ‟Typhoniens”, puis on passait leurs cendres au tamis pour les disperser. Cela se faisait publiquement et à une époque précise, durant les jours de canicule", Plutarque, Sur Isis et Osiris 73). Les hyksos ont reporté sur ce mythe ancien leur propre rivalité fraternelle, et leur usage du sacrifice des prémices. La couleur rouge de Typhon a facilité la confusion avec les nomades du Hedjaz en bordure de la mer Rouge (nous avons vu qu’en grec les Sémites du Pount en bordure du golfe érythréen/mer Rouge sont désignés par le même mot que la couleur rouge : "érythros/™ruqrÒj", et que le mot "phénix/fo‹nix" désigne à la fois l’aigle rouge et or venu d’Arabie jusqu’à Héliopolis/Aîn-ech-Chams et le futur roi de Tyr qui laissera son nom aux "Phéniciens", ainsi appelé en mémoire de ses ancêtres "Fénékhous" qui vivaient au Pount à l’époque de Sahourê sous la Vème Dynastie puis au nord du Hedjaz à l’époque de Sésostris Ier sous la XIIème Dynastie), et, par déduction, le lien entre Osiris et les hyksos du Levant. Diodore de Sicile dit clairement que les adorateurs d’Osiris pratiquent le sacrifice des prémices dans le domaine agricole : la première gerbe de froment et d’orge coupée lors des moissons est consacrée à Osiris et Isis ("Isis découvrit le froment et l’orge, qui croissaient jusqu’alors inconnus au milieu des autres plantes. Osiris inventa la culture de ces céréales. […] Pour consacrer le souvenir de cette découverte, on instaura une pratique toujours usitée aujourd’hui : au moment de la moisson, les premiers épis sont donnés en offrande tandis que ceux qui battent le blé invoquent Isis", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.14). Le même Diodore de Sicile dit que le sacrifice des prémices est pratiqué aussi dans le domaine politique : à Bousiris/Abousir où les aamus/asiatiques du sud sont envahissants, les prêtres (d’origine hyksos du nord ? ou d’origine égyptienne dans l’espoir de plaire aux hyksos du nord et d’en faire des alliés contre les aamus/asiatiques du sud qui y pullulent ?) immolent rituellement des hommes étrangers aux cheveux roux, par allusion au rouge Typhon finalement vaincu par la résurrection d’Osiris ("Les bœufs roux [en Egypte] sont immolés légalement, par allusion à Typhon de même couleur, meurtrier d’Osiris qui fut vengé par son épouse Isis. On dit que jadis les rois d’Egypte immolaient sur le tombeau d’Osiris des hommes roux comme Typhon, rares en Egypte alors qu’on en trouve fréquemment dans d’autres pays, cela expliquerait le mythe grec de Bousiris massacrant les étrangers, car ‟Bousiris” en égyptien ne désigne pas un roi mais le lieu du tombeau d’Osiris", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.88). Ce rite également pratiqué à Héliopolis/Aîn-ech-Chams, où les aamus/asiatiques du sud grouillent pareillement et menacent les autorités égyptiennes autochtones, sera aboli par le pharaon Ahmosis après sa reconquête de la basse Egypte, que nous raconterons aussi dans notre prochain paragraphe. En remplacement du sacrifice humain, Ahmosis restaurera l’usage séculaire des tablettes ou statuettes d’exécration (nous avons mentionné l’une d’elles très célèbre datant de la XIIème Dynastie, maudissant la cité de Jérusalem/rwʃrm, étudiée par l’égyptologue Georges Posener avant la deuxième Guerre Mondiale ; ces tablettes et statuettes sont utilisées pour conjurer un danger, neutraliser un adversaire, détourner une calamité). L’historien Manéthon dit que les exécutions à Héliopolis/Aîn-ech-Chams sont dédiées à Héra, équivalente grecque d’Isis ("La loi sur les sacrifices humains pratiqués à Héliopolis en Egypte fut abolie par Ahmosis, selon Sur les anciens usages et la piété de Manéthon. Ces sacrifices étaient dédiés à Héra, les hommes étaient sélectionnés et marqués comme les veaux purs, on en immolait trois en un jour, Ahmosis les remplaça par des personnages en cire", Porphyre de Tyr, Sur l’abstinence de consommation de chair animale II.55 ; Diodore de Sicile confirme cette équivalence ["Kronos épousa sa sœur Rhéa. Selon certains mythologues ils eurent Osiris et Isis, mais la majorité dit qu’ils eurent Zeus et Héra", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.13]), protectrice stable de l’Egypte entre l’agressif Typhon au sud et l’ondoyant Osiris au nord.


Aux Sémites atlantes vivant autour du lac Tritonide/chott el-Jérid, nous l’avons vu, est associé Ammon époux de Rhéa la sœur de Kronos. Le roi atlante Ammon a trompé Rhéa avec une autochtone qui lui a donné un fils, Dionysos. Rhéa furieuse est retournée en Méditerranée orientale demander à son frère Kronos de la venger. Kronos a envahi le royaume de son beau-frère, mais sans réussir à capturer le petit Dionysos. Plus tard, Dionysos devenu adulte a repoussé son oncle Kronos jusqu’à Siwah à la frontière de l’Egypte, le territoire correspondant aux actuelles Tunisie et Libye est redevenu atlante, puis a sombré peu à peu dans un long endormissement. A l’ère des Ages obscurs, des Phéniciens de Tyr reviennent s’installer sur le territoire de leurs lointains parents atlantes minoens, ils fondent une cité côtière, à mi-chemin du chott el-Jérid en cours d’assèchement au sud et de l’île de Sicile au nord-est, "Karth hadash" en phénicien ou littéralement le "Port/trʃ nouveau", hellénisé en "Karchdèn/Carthage", où ils vénèrent un Melkart portant le nom de l’antique baal/maître Ammon. Les traces archéologiques du culte à Baal-Ammon sont nombreuses dans l’aire carthaginoise, les molks/sacrifices rituels d’enfants sont mentionnés notamment lors des guerres entre Carthaginois et Romains à l’ère hellénistique - dans l’espoir de contenter Baal-Ammon afin qu’il aide Carthage contre Rome -, mais on ignore leur méthode. L’historien Diodore de Sicile, qui a étudié les archives de son île, raconte que des statues en bronze représentant Baal-Ammon se dressaient dans la ville de Carthage quand le Grec Agathocle l’a assiégée en -310 : afin d’attirer le secours de Baal-Ammon, les Carthaginois glissaient des enfants dans la bouche des statues pour qu’ils tombent et brûlent dans le feu allumé à l’intérieur. Les anciens Atlantes minoens procédaient peut-être de la même façon pour leurs sacrifices à Addu le dieu de l’Orage, ou à leur roi Ammon ou à l’occupant Kronos, ou à d’autres dieux ou dirigeants divinisés. Dans le même passage, Diodore de Sicile établit la filiation entre cette pratique infanticide à Carthage durant l’ère hellénistique et le sacrifice d’Iphigénie à la fin de l’ère mycénienne, et plus généralement l’image mythologique de Kronos dévorant ses propres enfants ("Voici comment ce sacrifice s’accomplissait. Dans la cité [de Carthage] se trouvaient plusieurs statues de bronze représentant Kronos [en réalité Baal-Ammon] avec les mains tendues et un peu inclinées vers le sol : quand on plaçait l’enfant sur ces mains, ne pouvant y rester, il roulait et allait tomber dans une cavité remplie de feu. C’est probablement ce dispositif qu’évoque Euripide quand il raconte les sacrifices en Tauride, dans le passage où Oreste interroge Iphigénie : “Quel tombeau me recevra si je meurs ?” “Un feu sacré allumé dans une vaste cave creusée dans le sol” [citation d’Iphigénie en Tauride 625-626]. Le mythe des anciens Grecs sur Kronos dévorant ses enfants semble confirmé par cette tradition cruelle ayant perduré chez les Carthaginois", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XX.14).


Une grande partie de la péninsule italienne à l’ère minoenne est dédiée à Kronos, alias Saturne dans la mythologie romaine. Dans la ville de Rome, l’aire archéologique de Sant’Omobono sur le flanc sud du mont Capitole en bordure du fleuve Tibre (41°53'26"N 12°28'52"E), mise à jour à l’occasion d’un aménagement du quartier en 1937, a révélé des artefacts oenotriens remontant au XVIème siècle av. J.-C., au tournant des ères minoenne et mycénienne. Selon Denys d’Halicarnasse, le mont Capitole à cette époque est appelé le "mont Saturne" ("D’après mes recherches, ce mont [Capitole à Rome] était consacré à Saturne [Kronos] avant la venue d’Héraclès en Italie, les habitants l’appelaient le ‟mont Saturne”, et toute la péninsule appelée aujourd’hui ‟Italie” était dédiée à Saturne, on voit cela dans quelques prophéties sibyllines et dans d’autres oracles divins. Dans beaucoup de lieux, des temples étaient consacrés à ce dieu, certaines cités portaient son nom comme la péninsule, beaucoup d’endroits aussi, notamment des promontoires et des collines élevés", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 34.5). Des sacrifices humains y sont pratiqués. A l’ère mycénienne, dans des circonstances toujours discutées, le "dieu de la cité/Melkart", assimilé ultérieurement à Héraclès par les Grecs, remplace ces sacrifices humains par des statuettes de forme humaine noyées rituellement dans le Tibre ("On dit que les anciens sacrifiaient des victimes humaines à Saturne [Kronos], comme à Carthage quand elle existait, et comme chez les Gaulois et chez quelques autres peuples occidentaux aujourd’hui encore, et qu’Héraclès [Melkart] abolit cet usage. Il érigea un autel sur le mont Saturne [le mont Capitole] et instaura un rite sacrificiel où on brûlait des victimes sans tache. Pour estomper la culpabilité de négliger le sacrifice traditionnel, il apprit aux habitants à apaiser la colère du dieu en fabriquant des statuettes de forme humaine et en les jetant dans le Tibre, mains et pieds liés, habillées comme eux. Par ce simulacre de noyade respectant l’apparence de l’ancien usage, Héraclès [Melkart] débarrassa leur esprit de toute crainte superstitieuse. Les Romains observent toujours ce rite aujourd’hui, chaque année à l’équinoxe d’été, aux ides de mai : après les sacrifices préliminaires selon les lois, les pontifes (les prêtres les plus importants), les vestales qui gardent le feu perpétuel, les préteurs et d’autres citoyens autorisés jettent depuis le pont sacré [le pont Sublicius] dans le Tibre trente statuettes humaines appelées ‟Argées”", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 38.2-3). Honteux des usages de leurs ancêtres, les Romains chercheront à les effacer de leur mémoire, ils diront : "Les sacrifices humains n’ont jamais été pratiqués chez nous, surtout les sacrifices d’enfants, nous préférions chasser les victimes hors du pays comme des nouveaux colons !" ("Lorsque la population d’une cité augmentait au point que le produit de la terre ne suffisait plus pour la nourrir, ou lorsque la terre baissait son rendement à cause d’un changement météorologique, ou lorsqu’un événement naturel bon ou mauvais nécessitait d’en diminuer les fruits, [les Aborigènes] vouaient tous les hommes d’une année à l’un de leurs dieux, ils leur fournissaient des armes et les jetaient hors de la région. En cas de surpopulation ou de victoire à la guerre ils offraient les sacrifices habituels pour remercier les dieux et attiraient des bons présages sur les colons, en cas de colère du ciel ils recouraient à la même cérémonie mais de manière éplorée, pour demander la fin de leurs maux et pour demander pardon aux hommes qu’ils chassaient. Ceux qui partaient savaient qu’ils n’hériteraient pas de la terre de leurs pères et qu’ils devraient en acquérir d’autres, et considérer le sol reçu par la négociation ou par la guerre comme leur nouveau pays, sous la tutelle du dieu de départ, protecteur et espoir de leur nouvelle colonie. Pour respecter cet usage en cas de surpopulation, les Aborigènes anciens, qui considéraient le sacrifice des enfants comme un crime, vouaient à un dieu tous les nouveau-nés de l’année en cours, et quand ceux-ci devenaient des hommes ils les jetaient hors de la région comme colons", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 16.2-4), ils estomperont dans leurs récits, leurs peintures, leurs sculptures, la nature infanticide d’Ouranos et de Saturne/Kronos, et la tendance tyrannique générale des anciens dieux sémitiques dont ils seront héritiers ("Chez les Romains, on ne trouve aucun trace qu’Ouranos fut châtré par son propre fils, ni que Saturne [Kronos] voulut détruire sa propre descendance pour s’en prémunir, ni que Jupiter [Zeus] détrôna son père Saturne [Kronos] et l’emprisonna au Tartare", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, II, 19.1). Mais ce n’est pas si évident. Denys d’Halicarnasse rappelle que les anciens Oenotriens d’Arcadie venus s’installer sur le site de la future Rome, rebaptisés "Aborigènes" après leur installation (nous renvoyons ici à la fin de notre paragraphe précédent), ont longtemps pactisé avec des Pélasges pratiquant le sacrifice des prémices - population probablement d’origine asianique mais convertie aux usages religieux des Minoens du sud autant qu’à la langue des Achéens du nord -, qui, comme partout ailleurs sur les côtes sémitiques méditerranéennes, se sont déchirés sur son maintien. Ces Pélasges, installés en Thessalie au début de l’ère mycénienne, en sont chassés par Deucalion. Certains se dispersent en mer Egée, beaucoup se réfugient dans l’intérieur des terres à Dodone, ils constatent qu’ils n’y sont pas les bienvenus, ils choisissent donc de s’exiler vers la péninsule italienne ("[Les Pélasges de Thessalie] furent chassés par les Courètes et les Lélèges en provenance des régions appelés aujourd’hui “Etolie” et “Locride”, et par d’autres qui vivaient près du Parnasse. Ces ennemis étaient commandés par Deucalion, le fils de Prométhée et de l’océanide Klyménè. Ils fuirent en s’éparpillant, les uns allèrent en Crète, les autres dans les îles appelées ‟Cyclades”, ceux-ci s’installèrent près de l’Olympe et de l’Ossa dans la région d’Hestiaia [au nord de l’île d’Eubée], ceux-là en Béotie, en Phocide, en Eubée, certains passèrent en l’Asie et occupèrent divers endroits sur la côte hellespontique et plusieurs des îles voisines, en particulier celle appelée aujourd’hui ‟Lesbos”, où ils s’unirent aux colons grecs amenés là par Makar fils de Krinakos [de Rhodes ; sur ce personnage nous renvoyons encore à notre paragraphe précédent]. La majorité se réfugia dans l’intérieur des terres, chez leurs cousins de Dodone. Personne n’osa leur déclarer la guerre parce que le lieu était sacré, ils y restèrent un temps mais ils comprirent qu’ils étaient un fardeau pour leurs hôtes et que le territoire ne pouvait pas les contenir tous, ils décidèrent de partir. Ils obéirent à un oracle qui leur demandait de naviguer vers l’Italie, appelée alors ‟Saturnie”", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 17.3-18.2). Ils traversent le golfe Ionien/mer Adriatique et débarquent à l’embouchure du fleuve Pô. Une partie d’entre eux y restent en fondant la cité de Spina (site archéologique à l’embouchure de la branche sud du fleuve Pô, 44°41'37"N 12°05'34"E), chaque année ils envoient des prémices à Delphes correspondant au dixième ("dek£taj/dîme") de leurs revenus ("Après avoir équipé un grand nombre de bateaux, [les colons pélasges] traversèrent la mer Ionienne [entre l’Epire et la botte italienne], essayant d’atteindre la côte italienne proche. Ignorant que dans cette région le vent souffle du sud, ils furent déportés loin de la mer. Ils mouillèrent à la bouche du Pô appelée ‟spinétique”. Ils y laissèrent ceux qui ne pouvaient plus supporter d’autres épreuves, ils mirent garnison autour des bateaux afin d’avoir un refuge sûr en cas de déconvenues, ceux qui restèrent élevèrent un mur autour de leur camp et chargèrent des nombreuses provisions dans les bateaux. Les affaires prospérant, ils fondèrent une cité qu’ils baptisèrent du nom de la bouche [Spina]. Ils devinrent aussi opulents que tous les autres habitants du golfe Ionien et prirent le contrôle maritime pour longtemps, en envoyant régulièrement au dieu [Apollon] de Delphes des dîmes somptueuses", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 18.3-4). Les autres s’aventurent dans les régions centrales, ils combattent les "Sicules/Sikelo…" autochtones qui vivent dans les monts Apennins, les mêmes que les Oenotriens aborigènes combattent dans la région de la future Rome ("On dit que cette cité habitée par les Romains, aujourd’hui maîtresse de toutes les terres et de toutes les mers, a eu comme premiers occupants le peuple barbare autochtone des Sicules, auparavant on ne peut pas dire si le lieu était habité par d’autres ou s’il était désert. Les Aborigènes en prirent possession après une longue guerre. Ces derniers vivaient sur les montagnes, dans des villages non fortifiés et dispersés. Avec l’aide des Pélasges et de quelques autres Grecs ils chassèrent les Sicules, accaparèrent beaucoup de cités, subjuguèrent tout le territoire entre les deux fleuves Liris et Tibre. […] Ces gens restèrent au même endroit, sans jamais être chassés par d’autres, formant et restant un seul peuple qui changea deux fois de nom : jusqu’à l’époque de la guerre de Troie ils conservèrent leur ancien nom ‟Aborigènes”, après Latinus qui régnait pendant la guerre de Troie ils furent appelés ‟Latins”, et quand Romulus fonda la cité baptisée de son nom, seize générations après la prise de Troie, ils furent appelés comme maintenant", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 9.1-4), ils conquièrent la cité de Crotone (aujourd’hui Cortone dans la province italienne de Toscane, 43°16'29"N 11°59'07"E, à ne pas confondre avec l’homonyme méridionale Crotone en province italienne de Calabre), puis ils descendent vers la côte ouest. Ils arrivent dans une vaste zone marécageuse autour du mont Cabum/Cavo (41°45'07"N 12°42'35"E), où les Romains aménageront la cité résidentielle de Tusculum (41°47'52"N 12°42'27"E), aujourd’hui le parc régional des Castelli Romani, devenu une vaste zone de plaisance avec lacs et forêts au sud-ouest de Rome en Italie (41°44'27"N 12°44'21"E). Ils entrent au contact des Aborigènes. Très vite, les deux peuples étrangers comprennent leur intérêt à faire front commun contre les autochtones sicules, et s’allient ("[Les colons pélasges] qui s’étaient engagés dans l’intérieur des terres traversèrent les montagnes de l’Italie et arrivèrent sur le territoire des Ombriens voisins des Aborigènes […]. Les Pélasges prirent possession des terres où ils s’installèrent et conquirent certains villages ombriens, mais quand une grande armée ennemie avança contre eux ils prirent peur et s’enfuirent vers le territoire des Aborigènes. Dans un premier temps les Aborigènes les virent comme des ennemis et se hâtèrent de se rassembler pour les repousser. Mais les Pélasges qui campaient opportunément près de la cité aborigène de Kotylia en bordure du lac sacré ["Kotul…a", cité non localisée, peut-être près ou sous Tusculum], voyant une petite île ronde flottant au milieu du lac, et apprenant le nom des autochtones par des gens qu’ils avaient capturés dans les campagnes, conclurent que leur oracle était accompli. Cet oracle reçu à Dodone, que l’illustre Lucius Mallius [peintre romain au tournant des IIIème et IIème siècles av. J.-C.] prétend avoir vu de ses propres yeux, gravé en vieux caractères sur l’un des trépieds déposés dans l’enceinte de Zeus, était le suivant : ‟Cherchez la Saturnie des Sicules, la Kotylè ["KotÚlh"] des Aborigènes, l’île flottante, mêlez-vous à eux, envoyez une dîme à Phoibos ["Fo‹boj/le Brillant", surnom du dieu Apollon, qui donnera "Phébus" en latin] et une tête au Kronide [c’est-à-dire Zeus fils de Kronos/Saturne] et un homme à son père [c’est-à-dire Kronos/Saturne père de Zeus]”. En conséquence, quand les Aborigènes s’avancèrent en nombre et en armes, les Pélasges se présentèrent désarmés, des branches d’olivier à la main, et leur expliquèrent leur sort, ils les prièrent de les recevoir en amis et de les accueillir chez eux, ils leur assurèrent que leur présence n’était pas importune puisqu’ils étaient venus guidés par le ciel jusque dans ce pays selon l’oracle, qu’ils leur citèrent. Après les avoir écoutés, les Aborigènes résolurent d’obéir à l’oracle et de prendre ces Grecs comme alliés contre leurs ennemis barbares, parce qu’ils étaient très éprouvés dans la guerre contre les Sicules. Ils conclurent un traité avec les Pélasges, en leurs cédant une partie de leur territoire près du lac sacré. Ce territoire était très marécageux, d’où son nom, qu’il a conservé jusqu’à aujourd’hui : ‟Ouelia” ["OÙšlia", littéralement "le Marais", aujourd’hui Velletri à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Rome en Italie, 41°41'11"N 12°46'38"E], selon l’ancienne prononciation. En effet les anciens Grecs précédaient d’un digamma les mots commençant par une voyelle, soit deux lignes obliques reliés à une ligne droite signifiant la syllabe ‟ou”, comme ‟Yelšnh”, ‟Y£nax”, ‟Yo‹koj”, ‟Ya¾r” et beaucoup d’autres", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 19.1-20.3). Au XIIIème siècle av. J.-C., plus exactement "deux générations avant la guerre de Troie" selon Denys d’Halicarnasse, une succession de mauvaises récoltes et une baisse de la natalité conduisent les Pélasges à s’interroger sur leurs pratiques religieuses, qu’ils ont peu à peu négligées. Les prêtres sautent sur l’occasion pour essayer de restaurer les sacrifices rituels d’enfants ("La première cause de désolation de leurs cités [aux Pélasges d’Italie] fut une période de sécheresse qui ruina leurs terres : les fruits encore verts tombaient des arbres, les graines germaient et montaient sans parvenir à maturité à la saison des épis, l’herbe manquait pour le bétail, les eaux n’étaient plus potables ou diminuaient ou se tarissaient en été. Le malheur frappa les nouveau-nés chez les animaux comme chez les femmes. Le fœtus avortait ou mourait à la naissance, certains en mourant entrainaient leur génitrice dans la mort, ceux qui survivaient à l’accouchement étaient estropiés ou déficients ou infirmes et décédaient rapidement. Le reste de la population, surtout les vieux, étaient affligés de nombreuses maladies rares et trépassaient de façon inhabituelle. Ils demandèrent à l’oracle quels dieux ils avaient offensés pour être ainsi punis et comment être pardonnés, l’oracle répondit qu’ils avaient obtenu tout ce qu’ils désiraient en négligeant de payer aux dieux ce qu’ils avaient promis, accumulant une grosse dette. Lors d’une famine, les Pélasges avaient effectivement imploré Zeus, Apollon et les Cabires en leur promettant la dîme des futures productions. Leur prière avait été entendue, ils avaient offert aux dieux la partie promise sur leurs récoltes et sur leurs sur troupeaux, croyant que cela suffisait. […] Ils ne comprirent pas le sens de l’oracle. Ils demeuraient perplexes, mais un vieillard, devinant le sens de l’oracle, leur dit qu’ils se trompaient en pensant que les dieux étaient injustes : certes ils avaient offert des prémices honorables, mais ils avaient omis de les étendre aux enfants, nourritures appréciées des dieux, telle était la nature de la dette qu’ils avaient contractée, qu’ils devaient payer pour satisfaire les dieux et l’oracle", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 23.2-24.1). Une partie de la population les approuve, mais la majorité est scandalisée. Les Pélasges se divisent violemment ("Les uns approuvèrent [le vieillard], les autres le traitèrent de scélérat. Quelqu’un proposa de demander aux dieux s’ils voulaient recevoir des dîmes humaines, on envoya une seconde fois des messagers interroger l’oracle, les dieux acquiescèrent. Des différends apparurent sur la façon de choisir les dîmes, d’abord les dirigeants des cités se divisèrent entre eux, puis le peuple devint méfiant", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 24.2-3), et finalement ils se dispersent, la plupart retournent en Grèce en abandonnant leurs cités ("Certains partirent de façon désordonnée, comme poussés par la frénésie et la folie des dieux. Des familles disparurent parce que ceux qui restaient ne supportaient pas d’être séparés de leurs parents partis, et de vivre au milieu de leurs ennemis. Les premiers qui quittèrent l’Italie pour retourner en Grèce ou aller dans des pays barbares, furent imités par d’autres les années suivantes. Les dirigeants des cités continuèrent à offrir des prémices d’enfants aux dieux car cela prémunissait contre les séditions. Beaucoup furent chassés par haine sous des prétextes spécieux, augmentant les émigrations. Ainsi le peuple des Pélasges se dilua sur toute la terre", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 24.3-4), qui seront réoccupées à l’ère des Ages obscurs par les Tyrrhéniens nouveaux immigrés ("Le malheur des Pélasges commença deux générations avant la guerre de Troie et continua après, la densité de ce peuple diminua. A l’exception de l’importante Crotone en Ombrie et des places qu’ils avaient fondées sur le territoire aborigène, toutes leurs citées furent ruinées. Crotone conserva longtemps sa forme ancienne, elle a changé récemment d’habitants en devenant une colonie romaine et son nom a évolué en ‟Corthonia”. Après leur départ, les cités des Pélasges furent réoccupées par divers peuples voisins, majoritairement par les Tyrrhéniens", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 26.1-2).


Le site d’Anemospilia à la pointe nord du mont Iouchtas en Crète, à sept kilomètres au sud de Cnossos (35°15'19"N 25°08'40"E), a été fouillé par l’archéologue grec Yannis Sakellarakis en 1979. Il consiste en un bâtiment de trois pièces côte-à-côte précédées d’un large vestibule, détruit par un séisme. Le style des nombreuses céramiques retrouvées sur place permet de le dater du milieu de l’ère minoenne, fin XVIIIème siècle av. J.-C. ou début XVIIème siècle av J.-C., longtemps avant l’éruption de Santorin. Dans le vestibule se trouvait un corps aux os brisés, dont ceux du bassin, empêchant de déterminer le sexe, la position de ce corps indiquait que son propriétaire fuyait quand les murs du bâtiment sont soudain tombés sur lui. Cette personne portait un récipient, brisé également, dont la forme rappelle le seau dessiné sur le célèbre sarcophage d’Aghia Triada recueillant le sang du taureau sacrifié. Dans la pièce centrale se trouvait une statue humanisée grandeur nature dont seuls les deux pieds en argile ont survécu, le reste en bois a brûlé - la couche de cendres en témoigne - lors de la destruction violente du site, peut-être à cause de lampes allumées qui sont tombées, provoquant un incendie. Le sol de cette pièce centrale était couvert de débris de vases. Dans la pièce ouest se trouvait le squelette d’une femme entre vingt-cinq et trente ans, allongée sur le ventre. Un autre squelette gisait au sol, celui d’un homme au sol entre trente et quarante ans, un mètre quatre-vingts, corpulence solide, allongé sur le dos, jambes brisées, ses mains étaient devant la tête comme pour se protéger le visage ou le crâne, il portait une bague en fer et argent à l’auriculaire gauche, un sceau gravé sur son poignet. Juste à côté de cet homme, sur une plateforme, un troisième squelette a été découvert, celui d’un jeune homme d’environ dix-huit ans, une jambe pliée, l’autre tellement remontée que le talon touchait l’arrière de la cuisse. Sur le ventre de ce jeune homme a été exhumée une lame de quarante centimètres, quatre cent grammes, décorée de chaque côté par une tête d’animal composite (museau et défenses de sanglier, oreilles similaires à des ailes de papillon, yeux bridés comme ceux d’un renard). Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, l’idéologie soixante-huitarde a pollué les débats, générant des réactions épidermiques en réaction, interdisant toute conclusion apaisée. Cette idéologie nihiliste occidentale qui pratique systématiquement le raccourci historique et la repentance masochiste, qui veut plaquer son discours binaire sur tout et n’importe quoi, associe les Minoens à l’aire moyen-orientale moderne et les Achéens à l’aire occidentale moderne, en conséquence elle conclut que les Minoens étaient le camp du Bien et que les Achéens étaient le camp du Mal, elle n’arrive pas à concevoir que les Minoens ont pu pratiquer des actes inhumains, notamment des sacrifices rituels d’enfants ou de jeunes adultes, même ponctuellement à l’occasion de telle crise sociale ou de telle calamité naturelle, entre deux sacrifices d’animaux (une grande quantité d’ossements de bovins sont encore visibles aujourd’hui autour du site d’Anemopsilia, ce qui suggère que beaucoup y ont été immolés au fil des siècles). Ainsi les colloques sur les Minoens tournent parfois au bol de soupe, entre les archéologues contaminés par l’idéologie soixante-huitarde et leurs confrères qui la méprisent ou la rejettent. Ceux-ci disent que le corps dans le vestibule était peut-être celui d’un fonctionnaire sacerdotal, mort brutalement pendant qu’il rangeait des vases sacrés, ceux-là répondent : "Rien n’indique que le bâtiment était un sanctuaire !". Ceux-ci disent que la statue dans la pièce centrale représentait peut-être un dieu minoen, ceux-là répondent : "Vous n’avez aucune preuve !". Ceux-ci disent que la plateforme dans la pièce ouest était peut-être un autel, ceux-là répondent : "Les autels sont toujours en bois et ils ont des pieds, or cette plateforme était en pierre et posée au sol !". Ceux-ci disent que la lame ouvragée sur le ventre du jeune homme dans la pièce ouest était peut-être un couteau sacrificiel, ceux-là répondent : "C’était une vulgaire pointe de lance, posée sur une étagère, tombée là accidentellement lors du séisme !". Ceux-ci disent que l’adulte et la jeune femme à proximité étaient peut-être un prêtre et son assistante, qui officiaient au moment où ils ont été surpris par le séisme, ceux-là répondent : "C’était un couple ordinaire qui discutait dans l’intimité quand le séisme est survenu, la bague en fer et argent ne signifie rien, le sceau au poignet également !". Ceux-ci disent que le jeune homme a peut-être été exécuté sur la plateforme, et il s’est débattu pendant son exécution, d’où ses jambes pliées, ceux-là répondent : "On n’a pas retrouvé les cordes qui attachaient ses mains et ses pieds ! Ses jambes étaient pliées simplement parce qu’il a trébuché sur la plateforme !". Ceux-là disent que le séisme a peut-être interrompu le prêtre et ses deux auxiliaires juste après la mise à mort, dédiée à un dieu minoen figuré par la statue dans la pièce voisine où s’entassaient les vases rituels, ceux-là répondent : "Antisémite ! Suppôt nazi ! Nostalgique de la Shoah !". On bute sur la même impasse à propos du site de la maison Nord du site archéologique de Cnossos, fouillée aussi en 1979 par l’archéologue anglais Peter Warren, constituée de six pièces à côté d’une cour (35°17'56"N 25°09'47"E). Dans la pièce centrale dite "du culte", parmi les débris de plusieurs dizaines de vases, des restes humains ont été découverts : une phalange, un sternum, une vertèbre portant des traces de découpe, ainsi qu’une cruche contenant six phalanges de pieds humains. Dans la petite pièce à l’ouest dite "des os d’enfants", chambre exiguë d’un mètre soixante-dix sur un mètre quatre-vingts, trois cent soixante-et-onze os humains ont été mis à jour, dont soixante-dix-neuf portent des traces de découpe, ainsi que deux cent cinquante-et-un os de bœufs, chèvres et cochons, dont dix-neuf portent des traces de découpe. L’étude des os humains établissent que ceux-ci appartenaient à au moins quatre enfants entre huit et douze ans. Tous ces os humains et animaux étaient dans une couche de débris et de cendres, les squelettes auxquels ils étaient attachés ont été ensevelis à l’occasion d’un séisme et/ou d’un incendie. Dans la pièce dite "des fresques" au nord-est, neuf os humains ont été trouvés, dont deux portant des traces de découpe, un drain contre le mur extérieur de cette pièce contenait vingt-sept autres os d’enfants. Comme le bâtiment d’Anemospilia, la maison Nord de Cnossos génère des rixes féroces entre spécialistes indépendants et spécialistes gangrénés par l’idéologie soixante-huitarde : les seconds, qui n’ont souvent aucun mal à accepter l’historicité du sacrifice du fils d’Abraham interrompu au Levant, rechignent farouchement d’admettre, d’émettre, de supposer l’hypothèse de sacrifices équivalents en Egypte sous les hyksos, sur les côtes africaines autour de la corne d’Hespéros/golfe de Gabès par les ancêtres des Carthaginois, en Italie dans la région de la future Rome par les descendants d’Oenotros et par des Pélasges influencés, ou, ce qui nous intéresse ici, en Crète minoenne, par des cousins d’Abraham. Quand Peter Warren après 1979, après avoir établi que les os exhumés dans la maison Nord ne présentaient aucune trace de maladie, a supposé que des rituels de dépeçage humain, peut-être même d’anthropophagie, y était pratiqués, ses collègues soixante-huitards l’ont condamné violemment, et ont avancé toutes sortes d’explications pour purifier les Minoens. Certaines de ces explications sont intéressantes, même si elles restent fragiles, par exemple celle qui invoque les rites funéraires traditionnels égyptiens : les traces de découpe sur les os trahiraient l’ablation des parties molles du défunt, déposées dans des canopes avant l’ensevelissement des os, cet usage bien attesté en Egypte aurait été employé sur les corps d’enfants morts accidentellement à Cnossos ou dans la région de Cnossos… mais cela est incohérent avec le stockage négligent de ces dépouilles d’enfants, traités comme des détritus parmi des dépouilles de vulgaires bœufs, chèvres et cochons. D’autres explications sont totalement farfelues (notamment celle d’un archéologue qui pense que la présence des os humains est fortuite, parce qu’ils étaient dans la terre prélevée d’une nécropole ayant servi on-ne-sait-pourquoi à remblayer on-ne-sait-quelle partie de la maison Nord, ou celle d’un autre archéologue qui, scandalisé par l’idée que les Minoens ont pu sacrifier des enfants, nie la nature humaine des os retrouvés et, contre toute science anatomique, les attribue à des squelettes de singes). Des fouilles récentes sur le site de Kydonia/La Canée, conduites par l’archéologue grecque Maria Vlazaki-Andreadaki depuis 2010, ont mis à jour la dépouille d’une jeune fille d’environ quinze ans du XIIIème siècle av. J.-C. (datée grâce à une céramique trouvée à proximité portant un texte en linéaire B), soigneusement enterrée dans une grande chambre unissant plusieurs anciennes petites pièces (des magasins de l’ère minoenne ?) dont les murs ont été démolis, au milieu de cadavres de quatre cochons, un bœuf et quarante-trois moutons et chèvres, le crâne de cette jeune fille a été éclaté méthodiquement avec un objet contondant. Sur ce sujet encore, les empoignades sont fréquentes : les uns disent que la jeune fille a été sacrifiée rituellement pour s’attirer la clémence des dieux à la suite d’une crise d’on-ne-sait-quelle nature, les autres - toujours motivés par l’idéologie soixante-huitarde davantage que par l’honnêteté - prétendent que l’éclatement du crâne peut s’expliquer par une trépanation médicale opéré par un chirurgien maladroit ayant entraîné la mort de la patiente. Pour notre part, au vu de tout ce que nous avons vu précédemment, nous nous démarquons franchement de l’idéologie et inclinons vers l’hypothèse des sacrifices humains. Nous trouvons invraisemblable que les poètes de l’ère archaïque, les politiciens de l’ère classique, les philosophes de l’ère hellénistique, auraient inventé tous les récits de sacrifices de prémices dont la mythologie grecque est pleine. Les pseudo-historiens qualifiant ces récits de fables à vocation poétique ou politique ou philosophique doivent être considérés de la même façon aujourd’hui que devront l’être dans trois mille ans les pseudo-historiens qui qualifieront Churchill ou De Gaulle de personnages imaginaires sous prétexte que ces derniers auront été récupérés par les poètes, politiciens et philosophes pour toutes sortes de raisons durant trois mille ans. L’Histoire déforme les souvenirs, cela ne signifie pas que les souvenirs reposent sur du vent : les souvenirs reposent sur des faits qui sont amplifiés ou minimisés au cours du temps, selon les intérêts de leurs transmetteurs successifs. La tâche de l’historien consiste à chercher des indices, à les confronter, à les contextualiser, en restant toujours ouvert à des possibles contredisant les probables, non pas à privilégier une idéologie et à juger que tout ce qui ne suit pas cette idéologie n’existe pas ou doit être effacé. En l’occurrence, à l’ère minoenne, le sacrifice humain n’avait certainement pas la même signification qu’en l’an 2000, il était regardé comme un acte de déférence et de purification envers les dieux et non pas un meurtre sanglant, comme une négociation avec les puissances invisibles et non pas une sauvagerie gratuite. L’hypothèse des sacrifices humains raccorde avec l’historien Istros, élève de Callimaque le directeur du Musée d’Alexandrie au milieu du IIIème siècle av. J.-C., qui dit que les sacrifices d’enfants en l’honneur de Kronos étaient courants chez les Minoens en Crète ("Dans sa synthèse sur les fêtes crétoises, Istros rapporte que les Courètes jadis immolaient des enfants à Kronos", Porphyre de Tyr, Sur l’abstinence de consommation de chair animale II.56), et avec Platon (Critias 116c précité) qui dit que les dix rois atlantes se réunissaient annuellement pour offrir des sacrifices de prémices en hommage à leur ancêtre Poséidon (alias Addu le dieu sémitique de l’Orage, selon notre hypothèse plusieurs fois expliquée) dans la capitale de l’Atlantide, que nous avons identifiée à la Crète minoenne dans notre alinéa précédent. Elle raccorde aussi avec la figure crétoise du Minotaure, que nous détaillerons dans notre prochain paragraphe, personnage réel aux mœurs infanticides représenté comme un monstre à la tête de taureau ou bête carnivore utilisée dans un rite infanticide fantasmée sous les traits d’un taureau au corps d’homme. Elle raccorde encore avec le roi crétois Idoménée qui, pour remercier Poséidon de l’avoir sauvé en mer lors de son retour de Troie au tout début de l’ère des Ages obscurs, lui a sacrifié son fils.


En Laconie minoenne, où règne Lacédémon, le sacrifice des prémices est remplacé par l’exécution d’un homme adulte ("Les Lacédémoniens sacrifiaient pareillement un homme à Arès, selon Apollodore", Porphyre de Tyr, Sur l’abstinence de consommation de chair animale II.55). En Arcadie voisine, peu après l’éruption de Santorin vers -1600, nous avons vu que le cruel Lycaon règne. Nous avons cité un passage des Métamorphoses d’Ovide racontant comment Lycaon a exécuté un prisonnier molosse pour l’offrir à Zeus et comment, pour le punir de sa cruauté, Zeus a déclenché le déluge de Deucalion au début de l’ère mycénienne, au milieu du XVIème siècle av. J.-C. On retrouve la même histoire sous la plume de pseudo-Apollodore, appliquée aux enfants de Lycaon, qui exécutent un enfant arcadien pour l’offrir à Zeus, et Zeus les punit de la même manière ("[Les fils de Lycaon] étaient excessivement insolents et impies. Zeus voulut les juger par lui-même. Il se présenta à eux sous l’apparence d’un manœuvre. Ils l’accueillirent en tuant un enfant local, en mêlant ses viscères à d’autres offrandes et en les lui donnant à manger, suivant le conseil de Mainalos [un des nombreux fils de Lycaon]. Zeus indigné renversa la table ["trapézous/trapezoàj", littéralement "qui a quatre/tšssarhj pieds/poÚj" ; le même mot donnera "trapèze" en français, définissant tout quadrilatère à deux côtés parallèles], qui donna son nom au lieu [on ne doit pas confondre la cité de Trapézous désignée ici, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Mégalopolis en Arcadie, 37°26'58"N 22°04'25"E, avec son homonyme Trapézonte/Trabzon sur la côte sud-est du Pont-Euxin/mer Noire], il foudroya les enfants de Lycaon, sauf le jeune Nyctimos, préservé par Gaia qui lui tendit les bras et lui prit la main et fléchit la colère de Zeus. Nyctimos monta sur le trône. Sous son règne eut lieu le déluge de Deucalion, quelques-uns disent que l’impiété des fils de Lycaon en fut la cause", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 8.1-2). Ovide a-t-il confondu l’époque de Lycaon qui correspondrait au deuxième tsunami après celui de Santorin, avec l’époque des fils de Lycaon qui correspondrait au déluge de Deucalion ? ou pseudo-Apollodore a-t-il confondu l’époque de Lycaon qui correspondrait au déluge de Deucalion (troisième tsunami après celui de Santorin), avec un quatrième tsunami qui se serait déroulé une génération après ? Le sujet reste ouvert. Un mystère plane sur la nature des Arcadiens, qui sont probablement des autochtones asianiques à l’origine, mais qui ont été séduits durant l’ère minoenne par les immigrés sémitiques levantins du sud et par les immigrés indoeuropéens achéens du nord. Les Arcadiens ont adopté les mœurs infanticides des Levantins. Pausanias dit qu’au sommet du mont Lykaion (37°26'53"N 21°59'42"E), qui doit son nom à Lycaon, se trouve un sanctuaire très ancien où on pratiquait des sacrifices énigmatiques ("A l’endroit le plus élevé au sommet du mont [Lykaion] se trouve un tertre de terre : c’est l’autel de Zeus Lykaios, d’où on voit la plus grande partie du Péloponnèse. Devant cet autel, face au levant, se trouvent deux colonnes sur lesquelles se dressaient jadis des aigles dorés. Les sacrifices offerts à Zeus Lykaios sont secrets, je n’ai pas tenté de les connaître, je les laisse tels qu’ils sont et qu’ils ont toujours été", Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 38.7). Platon est plus explicite en disant que ces sacrifices consistaient dans l’exécution d’êtres humains dont on mangeait les chairs. Platon ajoute qu’à une époque inconnue les sacrificateurs du Lykaion se sont transformés en loups, il rejoint là le récit précité d’Ovide ("‟Quand un protecteur se transforme-t-il en tyran ? N’est-ce pas quand il agit comme dans la légende associée au sanctuaire de Zeus Lykaios en Arcadie ?” ‟Que raconte-t-elle ?” ‟On y mangeait des entrailles humaines, découpées en morceaux et mélangées à d’autres offrandes sacrificielles, les consommateurs s’y transformaient en loups. Tu ne connais pas cette légende ?” ‟Je l’ai entendue.” ‟Ne peut-on pas la rapporter à celui qui, à la tête d’un peuple qu’il contrôle absolument, ne s’interdit plus d’en boire le sang ? Quand, par des accusations injustes dont il se délecte, il traîne ses sujets devant les tribunaux afin de leur enlever la vie, et se souille lui-même ? Quand il savoure avec sa langue et sa bouche impies le sang de ses proches qu’il exile et qu’il tue, après leur avoir promis une annulation de dettes ou un partage de terres ? Un tel homme ne se condamne-t-il pas par le destin à périr de la main de ses ennemis, ou à perdre sa nature d’homme pour se transformer en un loup tyrannique ?”", Platon, La République 565d-566a). De même que Kronos, après s’être révolté contre son père tyrannique qui voulait le sacrifier, est devenu lui-même un tyran qui a voulu sacrifier son propre fils Zeus, les fils de Lycaon, après s’être révoltés contre leur père tyrannique qui voulait les sacrifier, sont devenus eux-mêmes des tyrans qui ont voulu perpétuer les sacrifices de prémices. En provoquant le déluge de Deucalion, selon les Métamorphoses d’Ovide, Zeus a voulu signifier aux Arcadiens que les sacrifices de prémices devaient être abolis. En Attique, le roi Cécrops, contemporain des fils de Lycaon dans la seconde moitié du XVIème siècle av. J.-C., pratique le sacrifice des prémices en l’honneur d’Athéna (selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.56 précité). Plus tard, au XVème siècle av. J.-C, nous verrons cela dans notre prochain paragraphe, le roi athénien Erechthée recourt toujours au sacrifice de prémices : dans l’espoir de vaincre l’aventurier Eumolpos qui envoie ses troupes d’Eleusis contre Athènes, Erechthée sacrifie sa fille Aglaure, le sort des armes lui donne la victoire, mais il perd sa postérité car ses autres filles se suicident en s’égorgeant mutuellement, ne supportant pas la mort de leur sœur Aglaure. A la fin de l’ère mycénienne, au XIIIème siècle av. J.-C., en Acarnanie, nous devons comprendre l’image de Déjanire face au fleuve Achéloos de la même façon que l’image d’Hésione face à l’Hellespont, ou l’image d’Andromède face à la mer levantine : Déjanire est destinée à être sacrifiée par son père Oenée dans l’espoir d’apaiser les caprices du fleuve Achéloos qui endommage les terres acarnaniennes, et elle est sauvée in-extremis par Héraclès de passage dans la région, comme précédemment Hésione était destinée à être sacrifiée par son père Laomédon dans l’espoir d’apaiser les vents empêchant la navigation dans l’Hellespont et a été sauvée in-extremis par le même Héraclès, comme précédemment Andromède était destinée à être sacrifiée par son père Céphée dans l’espoir de dompter les colères de la mer levantine et a été sauvée in-extremis par Persée. En Phocide, à mi-distance de l’Attique à l’est et de l’Acarnanie à l’ouest, sur les flancs du mont Parnasse où Deucalion s’est réfugié au milieu du XVIème siècle av. J.-C. lors du troisième tsunami après l’éruption de Santorin, les habitants pratiquent aussi certainement les sacrifices humains, puisqu’ils exporteront cet usage dans leur colonie anatolienne à laquelle ils donneront leur nom à l’ère des Ages obscurs, "Phokaia/Fèkaia", francisée en "Phocée" (aujourd’hui Foça en Turquie, 38°40'11"N 26°45'31"E ; "Selon le livre III de Sur la concorde de Pythoclès, les Phocéens brûlaient un homme sur l’autel d’Artémis Tauropole [autel sous lequel les femmes se douchent avec le sang des taureaux qui y sont égorgés lors des cérémonies à Artémis]", Clément d’Alexandrie, Exhortation aux Grecs 42). Toujours à la fin de l’ère mycénienne, au XIIIème siècle av. J.-C., Athènes est assiégée par le Crétois Minos II, les Athéniens acculés à la famine organisent un sacrifice de prémices dans l’espoir de s’attirer l’aide des dieux, ils immolent quatre filles spartiates séjournant parmi eux, mais leur situation ne s’améliore pas, ils se résignent donc aux conditions que Minos II leur impose en échange de la levée du siège : la livraison de sept garçons et de sept filles qui seront sacrifiés au Minotaure ("La cité [Athènes] fut affligée de peste et de famine. Les Athéniens suivirent d’abord un ancien oracle et sacrifièrent à Geraistos fils du Cyclope les filles du Lacédémonien Hyakinthos venues s’établir dans Athènes : Anthèida, Aiglèida, Lytaia et Orthaia. Ces sacrifices ne leur apportèrent aucun soulagement, ils consultèrent l’oracle sur le moyen de remédier à leurs maux. Le dieu leur dit de satisfaire Minos comme il l’exigeait. Minos leur ordonna de lui envoyer sept garçons et sept filles sans armes pour servir de pâture au Minotaure", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.8). Plus tard, au début de l’ère des Ages obscurs, encore à Athènes affligée d’un grave manque de ressources lié à l’effondrement économique et social de la Méditerranée orientale à cette époque, les trois filles de Léos fils d’Orphée sont sacrifiées dans l’espoir que cela incitera les dieux à augmenter les revenus agricoles, leur mémoire sera honorée dans un héroon ("¹rîon", lieu où on célèbre la mémoire d’un ou plusieurs "héros/¼rwj") appelé "Leokorion" ("LewkÒrion", lieu saint comme l’atteste le suffixe "-ion/-ion" associé aux "filles/kÒrh de Léos/Leèj") dans le quartier populaire du Céramique au nord de l’Acropole, non identifié par les archéologues ("Les Athéniens appelaient ‟Leokorion” un temple dédié à Praxithea ["Praxiqša"], Théopè et Euboulè, filles de Léos qui furent immolées pour le salut d’Athènes. Leur père les livra pour obéir à l’oracle de Delphes, qui avait déclaré que la cité serait sauvée à condition de sacrifier les trois sœurs", Elien, Histoires diverses XII.28 ; "Lieu en Attique lié à l’histoire suivante : l’Attique souffrait jadis d’une famine, la fin des maux nécessitait un sacrifice infantile, Léos apporta ses propres filles et mit fin à la famine dans la cité, on l’honora en appelant ce lieu ‟Leokorion”", Suidas, Lexicographie, Leokorion L261 ; "Héroon au milieu du Céramique. Léos fils d’Orphée avait un fils : Kylanthos, et trois filles : Phasithea ["Fasiqša"], Théopè et Euboulè, sacrifiées vierges pour le salut des Athéniens, qui les honorent pour cette raison à l’héroon", Suidas, Lexicographie, Leokorion L262 : Léos "qui suivit un oracle et sacrifia ses filles pour le salut de la cité" est mentionné incidemment par Pausanias, Description de la Grèce, I, 5.2), près duquel Hipparque le frère du tyran Hippias sera assassiné en -514 par Harmodios et Aristogiton (selon Thucydide, Guerre du Péloponnèse VI.57), Léos donnera aussi son nom à la tribu "Léontide", l’une des dix tribus électorales de la Constitution de Clisthène instaurée à Athènes en -508.


Platon n'est pas le seul auteur antique à avoir évoqué indirectement l'éruption de Santorin, à travers son récit sur l'Atlantide dans Timée et Critias. Un autre auteur plus ancien l'a racontée de manière aussi indirecte : Hésiode dans sa Théogonie. Cette œuvre est l'une des quatre plus anciennes conservées en Occident (les trois autres sont Les travaux et les jours du même Hésiode, et l'Iliade et l'Odyssée d'Homère, qui sont contemporaines), datant du VIIIème siècle av. J.-C., époque charnière marquant la fin de l'ère des Ages obscurs et le début de l'ère archaïque, renaissance après quatre siècles de régressions économique, démographique, technique, artistique, intellectuelle, signifiée par une expansion coloniale sans précédent (fondation du comptoir de Pithécusses/Ischia en -777), par l'instauration des Jeux olympiques (en -776) pour remplacer les interminables guerres fratricides, et, ce qui nous intéresse surtout ici, par la réapparition de l'écriture qui avait disparu durant l'ère des Ages obscurs, sous une forme alphabétique et non plus sous la forme syllabique du Linéaire B de l'ère mycénienne. La Théogonie d'Hésiode, poème épique relativement court d'un peu plus de mille vers (si on inclut les ajouts des copistes au cours des siècles), obéit à la même logique que celle de l'Iliade d'Homère : elle a une unité de lieu, le territoire entre le mont Olympe au nord et la Crète au sud, une unité d'action, la monstrueuse bataille finale entre Zeus et Kronos après dix ans de guerre infructueuse (dans l'Iliade, l'unité d'action est le duel entre Achille et Agamemnon après dix ans de siège infructueux), et une unité de temps correspondant à cette monstrueuse bataille connectée au cataclysme ayant anéanti les Atlantes à la fin du récit de Platon. A chaque péripétie de l'action, l'intervention de nouveaux personnages contraint Hésiode, comme Homère dans l'Iliade, à des apartés évoquant leurs liens familiaux, leurs exploits et leurs échecs antérieurs, en recourant à des qualificatifs et des expressions lexicalisées employés par Homère et par les auteurs ultérieurs pour décrire les mêmes personnages. L'histoire même racontée par Hésiode se retrouve avec des variantes chez d'autres mythologues plus tardifs, notamment chez pseudo-Apollodore et chez Ovide, cela sous-entend que ces autres mythologues ont puisé dans Hésiode et dans des sources parallèles aujourd'hui perdues pour écrire leur version de cette histoire. On trouve des traces d'une théogonie antérieure chez le poète thrace Orphée, dont l'œuvre n'a survécu qu'à l'état fragmentaire, qui a vécu à la fin du XIIIème siècle av. J.-C., un peu plus ancien que l'historien phénicien Sanchoniathon de Bérytos : dans l'un de ses dialogues, Platon cite un vers d'Orphée donnant à Océan et à Téthys un rôle primordial, il rappelle aussi que cette prépondérance d'Océan et de Téthys se retrouve incidemment chez Homère ("Et que penses-tu [c'est Socrate qui parle] de la généalogie qui prédispose les divins ‟Rhéa” ["Rša"] et ‟Kronos” ["KrÒnoj"] ? Crois-tu que c'est par hasard qu'ils portent des noms de courants [calembour sur le verbe "ršw/couler" et sur le mot "kroànoj/fontaine"] ? Homère développe cette idée quand il parle d'‟Océan le père des dieux” et de ‟leur mère Téthys” [Iliade XIV.102]. Je crois qu'Hésiode dit la même chose [erreur de Socrate : nulle part dans sa Théogonie Hésiode ne dit qu'Océan et Téthys ont engendré les dieux], de même qu'Orphée dans ces vers : ‟Océan aux flots majestueux s'unit le premier à sa sœur Téthys, né de la même mère”", Platon, Cratyle 402b-c), contrairement à Hésiode qui fait d'Océan et de Téthys des personnages très secondaires. Autrement dit, Hésiode n'est pas l'auteur de l'histoire qu'il raconte dans sa Théogonie, il est seulement le premier à l'avoir fixée par l'écriture au VIIIème siècle av. J.-C. selon son interprétation personnelle, comme Homère n'est pas l'auteur de l'histoire racontée dans l'Iliade, il est seulement le premier à l'avoir fixée par l'écriture à la même époque selon son interprétation personnelle. Et, de même que la guerre de Troie n'est pas une invention d'Homère mais une guerre bien historique datant d'environ -1200 longtemps avant Homère - contrairement à ce que prétendent encore des hellénistes ineptes que nous avons déjà dénoncés -, on peut admettre que la guerre entre Zeus et Kronos n'est pas une invention d'Hésiode mais une guerre bien historique datant d'environ -1600 longtemps avant Hésiode, au cours de laquelle l'éruption de Santorin a marqué un tournant décisif à l'avantage de Zeus. Prenons le temps d'analyser la Théogonie d'Hésiode, en la confrontant ponctuellement avec les versions des mythologues ultérieurs. Hésiode ne donne pas d'origine à son enquête, il dit simplement que rien n'existait avant Gaia, sauf "Chaos/C£oj", chose indéfinissable de genre neutre - ni masculin ni féminin : "to C£oj" -, inactif, infécond, immobile, vide (le mot donnera "chaos" en français avec le sens plus restrictif de "désordre, anarchie, pagaille" ; "Avant la formation de la mer, de la terre, et du ciel qui les environne, la nature dans l'univers n'avait qu'un aspect appelé ‟chaos”, masse grossière, informe, pesante, sans action et sans vie, mélange confus d'éléments qui se combattaient entre eux. Aucun soleil ne prêtait encore sa lumière au monde, le croissant argenté de la lune ne brillait pas, la terre balancée par son poids n'était pas suspendue au milieu des airs, l'océan sans rivages n'embrassait pas les vastes flancs du globe. L'air, la terre et les eaux étaient confondus : la terre sans solidité, l'onde non fluide, l'air privé de lumière. Les éléments étaient ennemis, aucun d'eux n'avait sa forme actuelle : dans le même corps le froid combattait le chaud, le sec attaquait l'humide, le dur et le faible comme le lourd et le léger se heurtaient, sans cesse opposés et contraires", Ovide, Métamorphoses I.5-9). Le premier être, "Gaia/Ga‹a", de genre féminin, s'est auto-engendré dans le stérile Chaos ("Au commencement était Chaos. Puis naquit Gaia aux larges flancs", Hésiode, Théogonie 116-117). Puis Gaia, découvrant l'excitation de la vie, a mouillé de plaisir, elle a déversé des flots de cyprine qu'Hésiode et les autres mythologues grecs assimilent à la Mer, alias "Pontos/PÒntoj" en grec ("[Gaia] engendra Pontos, la stérile mer aux flots bouillonnants, sans goûter les charges du plaisir", Hésiode, Théogonie 131-132). Son vagin dilaté par l'excitation, Gaia a créé parallèlement on-ne-sait-comment un être masculin aussi grand qu'elle, "Ouranos/OÙranÒj", afin qu'il la féconde et lui donne des enfants ("Gaia enfanta d'abord Ouranos couronné d'étoiles, égal à elle-même afin qu'il la couvrît tout entière", Hésiode, Théogonie 126-127). A ce stade, on peut déjà constater qu'Hésiode et les autres mythologues grecs ignorent complètement, ou feignent d'ignorer, tout ce que nous avons dit depuis le début de notre étude, qui était pourtant bien connu et enseigné à la fin de l'ère mycénienne et au début de l'ère des Ages obscurs par Sanchoniathon de Bérytos, que l'Histoire ne commence pas avec Kronos fils d'Ouranos, qu'Ouranos n'est pas sorti de rien - ou du chaos ! - ni d'un orgasme tellurique, qu'"Ouranos" est la traduction sémitique levantine du "dieu/el Anu" sémitique mésopotamien, qu'il appartient à une mythologie sémitique beaucoup plus ancienne que la mythologie grecque issue de Kronos, qui elle-même se rattache à une mythologie sumérienne antérieure : Hésiode et les autres mythologues grecs considèrent que tout ce qui a existé avant Kronos ne compte pas, ou n'était qu'un "chaos/c£oj" sans intérêt. Ouranos est animé seulement par le sexe. Il copule en permanence avec Gaia, son pénis occupe en permanence le vagin de Gaia, au point qu'aucun enfant ne peut sortir du ventre maternel. Certains enfants sont des manœuvres rustres et des monstres. Selon Hésiode, Gaia et Ouranos engendrent trois Cyclopes puis trois Hécatonchires ("[Gaia] enfanta aussi les Cyclopes au cœur violent, Brontès, Stéropès et le brutal Argès, semblables aux dieux, mais ne disposant que d'un seul œil au front, tous leurs actes manifestaient leur force et leur adresse. Gaia et Ouranos eurent encore trois fils grands et forts, qu'on hésite à nommer, Kottos, Briarée et Gyès, rejetons orgueilleux, ils avaient chacun cent bras terribles sortant de leurs épaules et cinquante têtes attachées au-dessus de leur tronc vigoureux, leur puissance infatigable était proportionnée à leur énorme stature", Hésiode, Théogonie 139-153), chez pseudo-Apollodore l'ordre des naissances est inversé ("Ouranos gouverna le monde le premier. Ayant épousé Gaia, il en eut d'abord ceux appelés ‟Hécatonchires” : Briarée, Gyès, et Kottos, qui avaient cent mains et cinquante têtes, invincibles par leur force et leur grandeur, puis il en eut les Cyclopes : Argès, Stéropès et Brontès, qui n'avaient qu'un seul œil au milieu du front. Ouranos jeta tous ses enfants dans le Tartare", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I. 1.1-2). L'appellation "Cyclope/KÚklwy", dérivé de "kÚkloj/cycle, cercle, tour" et "êy/œil", signifiant littéralement "qui n'a qu'une seule orbite, un seul œil", renvoie à des individus ayant un champ de vision limité, donc des faibles capacités de jugement. Hésiode et les autres mythologues grecs insistent par ailleurs sur la grande force des Cyclopes, cela confirme que ce sont des manuels et non pas des intellectuels, à l'image des métallurgistes façonnant le bronze dans le monde sémitique. Les "Hécatonchires/EkatÒgceirej", littéralement "qui ont cent/˜katÒn mains/ce…r", sont des personnifications de phénomènes naturels, terrestres ou célestes, de grande ampleur et inexpliqués, comme les vents, les tempêtes, les séismes, les tsunamis, les éruptions volcaniques, etc. Ainsi un scholiaste anonyme, pour expliquer le vers 1165 du livre I des Argonautiques d'Apollonios de Rhodes évoquant Aigaion alias Briarée (nous reviendrons plus loin sur cette synonymie), rappelle que dans la Titanomachie d'Eumelos de Corinthe, œuvre du VIIIème siècle av. J.-C. aujourd'hui perdue, l'Hécatonchire Briarée est fils de Pontos (la Mer) et non pas fils d'Ouranos, et qu'il a été un allié de Kronos avant de devenir un allié de Zeus, le même scholiaste mentionne aussi Ion de Chio, tragédien et chroniqueur du Vème siècle av. J.-C., déclarant que Briarée est fils de Thalassa (personnification de la mer ; nous renvoyons ici à notre précédent paragraphe, où nous avons dit que le mot "thalassa/q£lassa" est certainement une hellénisation de l'étymon consonantique sémitique "trʃ" renvoyant à la mer, suivi du suffixe locatif sémitique "-ssos"), de cela on déduit que Briarée n'est qu'une image des vents qui ont aidé Kronos à naviguer en Méditerranée orientale et s'y bâtir un empire, avant de le desservir en l'empêchant d'atteindre les côtes de Thessalie et de Macédoine où s'est réfugié son fils Zeus devenu adversaire. Gaia et Ouranos engendrent d'autres enfants mieux formés, garçons et filles, appelés "Titans", parmi lesquels Océan qui donnera son nom à la mer au-delà des Colonnes d'Héraclès/détroit de Gibraltar (l'océan Atlantique) et au-delà des golfes érythréens/mer Rouge et golfe Arabo-persique (l'océan Indien), Japet, Rhéa, Mnémosyne, et surtout Kronos ("S'unissant à Ouranos, [Gaia] enfanta Océan aux gouffres immenses, Céos, Crios, Hypérion, Japet, Théa, Rhéa, Thémis, Mnémosyne, Phébé à la couronne d'or et l'aimable Téthys. Le dernier et le plus terrible de ses enfants, l'astucieux ["¢gkulom»thj"] Kronos, devint l'ennemi du florissant auteur de ses jours", Hésiode, Théogonie 132-138 ; "[Ouranos] eut ensuite des fils appelés ‟Titans” : Océan, Céos, Hypérion, Crios, Japet, et le cadet Kronos, et des filles appelées ‟Titanides” : Téthys, Rhéa, Thémis, Mnémosyne, Phébé, Dioné et Théa", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 1.3). Mais Ouranos, toujours obsédé par le sexe, reste le pénis planté dans le ventre de Gaia et empêche ses enfants d'en sortir. Doit-on comprendre, dans cette image de père dominateur, qu'Ouranos empêche ses enfants de grandir et de s'émanciper parce qu'il redoute qu'ils l'écartent et prennent sa place comme nouveaux maîtres de Gaia ? Doit-on aller plus loin en supposant que derrière cette image mythologique graveleuse se cache une réalité historique sanglante, celle de meurtres d'enfants destinés à réguler la démographie et à prémunir contre d'éventuels conflits générationnels pour le pouvoir, institués en sacrifices de prémices pour en estomper ces motivations bassement prosaïques de régulation démographique et de maintien au pouvoir ? Gaia est pleine, et elle ne supporte plus les assauts d'Ouranos. Elle fomente un plan avec les Titanides pour les aider à sortir de son ventre. Elle fabrique une faux, qu'elle confie au cadet Kronos ("Ces enfants redoutables de Gaia et Ouranos, leur père les haït dès le début. A peine conçus, au lieu de les laisser monter vers la lumière, il les maintenait dans les flancs de Gaia. Tandis qu'Ouranos se réjouissait de son méchant comportement, l'immense Gaia gémissait, profondément attristée. Elle imagina alors une cruelle et perfide vengeance. Elle tira d'elle-même l'acier blanc et en fabriqua vite une grande faux, puis elle s'adressa à ses enfants en affectant la douleur pour exciter leur courage : ‟Enfants issus de moi et d'un père furieux, obéissez-moi, châtiez votre père coupable, qui le premier a accompli des mauvaises actions”. Elle dit. Tous furent effrayés, aucun ne dit mot. Seul le grand et astucieux Kronos, sans trembler, répondit à sa noble mère : ‟Mère, je promets d'accomplir cette tâche, car je ne respecte plus mon père coupable, qui le premier a accompli des mauvaises actions”. Il dit. L'immense Gaia ressentit en elle une grande joie", Hésiode, Théogonie 154-173). Doit-on comprendre que Kronos, enfermé dans une grotte par son père Ouranos, a façonné une arme tranchante en taillant une pierre dure trouvée dans ladite grotte, afin de tuer son geôlier et s'en échapper ? A l'occasion d'un énième coït entre Ouranos et Gaia, Kronos jaillit du recoin du vagin maternel où il était caché, il émascule son père avec la faux que Gaia lui a donnée, et il pousse le pénis paternel hors du vagin. La voie est libre, Kronos et tous ses frères et sœurs peuvent sortir ("[Gaia] cacha [Kronos], puis elle lui donna la grande faux à la lame tranchante en lui expliquant tout le piège. Le grand Ouranos vint avec la nuit, animé de désir, il s'étendit sur Gaia de toute sa longueur. Alors son fils sortit de sa cachette, le saisit de la main gauche, et, de la main droite, agitant l'énorme et longue faux à la lame tranchante, il coupa brusquement l'organe de son père, qu'il jeta derrière lui", Hésiode, Théogonie 174-182). Seul Océan reste sur place ("Irritée contre Ouranos qui avait jeté ses enfants le Tartare, Gaia poussa les Titans à se révolter contre lui, et elle arma Kronos d'une faux de diamant. Les Titans, sauf Océan, se soulevèrent contre leur père, Kronos lui coupa les parties génitales et les jeta dans la mer", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 1.4). En se séparant, Gaia devient la terre, et Ouranos devient le ciel. Les Titanides vivent désormais entre eux deux, indépendamment de leur mère en-dessous et de leur père au-dessus. Océan, qui est resté neutre, est relégué à la périphérie par ses frères, conservant un lien flou avec sa mère Gaia/la terre et avec son père Ouranos/le ciel. Kronos est naturellement élu roi par ses frères, suite à son acte. Les Cyclopes et les Hécatonchires ont profité de l'occasion pour sortir aussi du ventre maternel, mais Kronos les y a renfermés aussitôt, précisément dans le "Tartare/T£rtaroj" (étymologie inconnue), une région du vagin de Gaia/la terre pleine de marécages "brumeux/ºerÒentoj", "stériles/¢trÚgetoj" et "moisis/eÙrèentoj" selon Hésiode, Théogonie 736-739 ("Briarée, Kottos et Gyès, depuis que leur père [Ouranos] les avait maudits et attachés par une forte chaîne, jaloux de leur vigueur extraordinaire, de leur stature et de leur taille, vivaient sous le vaste sol ["ØpÕ cqonÕj eÙruode…hj"], ils souffraient dans ce lieu souterrain au bout du monde, affligés, le cœur triste", Hésiode, Théogonie 617-623 ; "Ensuite [les Titanides] le chassèrent [Ouranos] du trône, qu'ils donnèrent à Kronos. Ils rappelèrent leurs frères [Cyclopes et Hécatonchires] qui étaient dans le Tartare. Mais Kronos les enchaîna et les y jeta de nouveau", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 1.4-5), c'est-à-dire un fond de grotte obscure où des vapeurs volcaniques nauséabondes s'exhalent de nappes phréatiques à la température variable. Ouranos castré maudit Kronos, il lui prédit qu'un jour ses propres enfants se dresseront contre lui de la même façon que lui s'est dressé contre son père ("Le grand Ouranos, en colère contre les enfants qu'il avait engendrés, les surnomma “Titans” ["Tit£n"] parce qu'ils avaient “tendu” ["tita…nw"] le bras pour commettre leur horrible méfait et qu'ils en tireraient un “châtiment” ["t…sij/jugement, punition, vengeance, châtiment"] mérité", Hésiode, Théogonie 207-210 ; cette étymologie avancée par Hésiode est farfelue, nous avons vu dans notre paragraphe précédent que "Titan" est probablement apparenté à "Seth" chez les Egyptiens, à "Shadday" chez les hébreux, avatar d'"Addu" le dieu sémitique de l'Orage, qu'on retrouve en grec dans "Poséidon" alias "maître/pÒsij Addu"). On apprend par diverses incidences que Kronos règne non seulement sur la Crète, mais encore sur l'Afrique où il accapare temporairement une grande partie du territoire d'Atlas, son frère ou neveu selon les versions (nous renvoyons ici à notre paragraphe précédent ; cette mainmise temporaire sur le territoire atlante inclut la Sicile et l'Italie voisines ["Kronos régna sur la Sicile, la Libye, et même l'Italie, il étendit son empire sur tous les pays occidentaux. Il y construisit des forteresses qu'il confia à des gardes, en même temps qu'il fortifia tous les lieux élevés, c'est pour cela qu'on appelle encore aujourd'hui “kroniens” les lieux élevés de Sicile et des autres pays occidentaux", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.61]), et sur l'Europe continentale jusqu'à la région du mont Olympe (40°05'10"N 22°21'32"E), qu'il subtilise à un seigneur local appelé "Ophion" ("[Orphée] chanta Ophion et Eurynomé fille d'Océan qui régnaient à l'origine sur l'Olympe neigeux, comment ils furent vaincus à la force des bras et cédèrent leur apanage, celui-ci à Kronos, celle-là à Rhéa, comment ils tombèrent dans les flots de l'Océan, comment les vainqueurs régnèrent sur les Titans, dieux bienheureux, à l'époque où Zeus  adolescent ayant gardé son âme d'enfant vivait encore dans la grotte du Dikté, où les Cyclopes fils de Gaia ne l'avaient pas encore affermi en lui donnant le foudre, le tonnerre et l'éclair", Apollonios de Rhodes, Argonautiques I.503-511 ; "Celse ajoute : ‟[…] Phérécyde dans une fable fabuleuse raconte une guerre entre deux ennemis, l'une commandée par Kronos, l'autre commandée par Ophion, leurs défis, leurs batailles, puis leur accord reconnaissant celui repoussé vers l'Océan comme vaincu, et celui l'y ayant repoussé comme vainqueur maître du ciel”", Origène, Contre Celse VI.42 ; Lycophron, Alexandra 1191-1193 mentionne aussi "les prémices d'innombrables victimes" offerts au "monarque [Kronos] assis sur le trône d'Ophion"). Kronos tente de prendre possession de la Thrace, mais il échoue pour une raison conjugale. Entré sur ce territoire, il y rencontre une autochtone appelée "Philyra" (fille d'Océan selon pseudo-Apollodore) avec laquelle il copule. Rhéa surgit pendant leurs ébats. Les deux amants s'échappent. Philyra donnera naissance à Chiron, monstre mi-homme mi-cheval ou "centaure/kšntauroj" en grec (étymologie inconnue ; "Le centaure Chiron naquit de Kronos et Philyra", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 2.4), parce que Kronos s'est enfui sous la forme d'un cheval selon un passage d'Apollonios de Rhodes ("A l'époque où il régnait sur l'Olympe, maître des Titans, à l'époque où Zeus était élevé par les Courètes dans la grotte de l'Ida en Crète, Kronos fils d'Ouranos trompa Rhéa en couchant avec Philyra. La déesse les surprit dans leurs amours. Kronos bondit hors du lit et s'enfuit sous la forme d'un cheval à longue crinière. Honteuse, Philyra fille d'Océan quitta les lieux et partit habiter dans les vastes montagnes des Pélasges, elle y enfanta le monstre Chiron, mi-dieu mi-cheval à cause de la métamorphose de son père", Apollonios de Rhodes, Argonautiques II.1232-1241), ou parce qu'il a pris la forme d'un cheval pour séduire Philyra selon Phérécyde de Syros, philosophe du VIème siècle av. J.-C. cité par un scholiaste anonyme en regard du passage d'Apollonios de Rhodes précité (un autre scholiaste anonyme, en regard du vers 554 livre I des Argonautiques d'Apollonios de Rhodes évoquant incidemment "Chiron fils de Philyra", mentionne une Gigantomachie non datée qui dit la même chose que Phérécyde de Syros). On suppose que Kronos s'est amusé à monter un cheval de Thessalie, cela a impressionné l'autochtone Philyra qui lui a vite accordé ses faveurs, et plus tard Philyra a vanté à Chiron, bâtard né de cette union, l'image de son père à cheval, Chiron en grandissant est devenu un cavalier remarquable, vivant en permanence sur et au milieu des chevaux, d'où l'image posthume d'un homme ayant fusionné avec sa monture. Peu importe. Kronos renonce à la Thrace, et le mont Olympe devient un poste-frontière entre son royaume au sud et le monde encore barbare au nord, peuplé notamment d'Indoeuropéens achéens. Hésiode dans Les travaux et les jours qualifie le règne de Kronos d'"âge d'or", montrant les hommes vivre en bonne harmonie autour de leur roi, jouissant des produits spontanés de la nature jusqu'à leur mort paisible ("La génération d'or fut la première génération de mortels créés par les immortels habitants de l'Olympe. A cette époque Kronos régnait encore dans le ciel, les mortels vivaient comme des dieux, libres de soucis, de travaux et de souffrances, la cruelle vieillesse ne les affligeait pas, leurs pieds et leurs bras conservaient leur vigueur, ils se réjouissaient dans les festins, loin de tous les maux, et ils mouraient comme en s'endormant. Tous les biens étaient à eux, la terre fertile produisait d'elle-même des récoltes abondantes qu'ils partageaient, heureux et paisibles, avec leurs nombreux et vertueux semblables. Quand cette génération se retrouva sous terre, le grand Zeus les fit bons génies, gardiens des mortels, observateurs de leurs bonnes et mauvaises actions, et, vêtus de brume, partout sur la terre, dispensateurs de la richesse. Tel est le royal honneur qui leur fut accordé", Hésiode, Les travaux et les jours 109-126). Diodore de Sicile note que le gouvernement autoritaire de Kronos, même s'il a transformé des hommes libres en sujets, leur a été bénéfique car il les a contraints à arrêter de faire justice par eux-mêmes, il les a obligés à accepter des compromis, il les a habitués à penser non plus individuellement mais collectivement ("La mythologie crétoise dit que les Titans naquirent au début des Courètes. D'abord ils habitèrent dans la région de Cnossos, où on montre encore les vestiges du palais de Rhéa et un ancien bois. La famille des Titans était composée de six garçons et cinq filles issus d'Ouranos et de Gaia ou, selon certains, d'un Courète et de Titaia, ils auraient pris le nom de leur mère. Les six garçons étaient Kronos, Hypérion, Céos, Japet, Crios et Océan, les cinq filles étaient Rhéa, Thémis, Mnémosyne, Phébé et Téthys. Chacun apporta un progrès aux hommes, qui en retour entretinrent leur souvenir et leur vouèrent une reconnaissance éternelle. Kronos, l'aîné des Titans, devint roi. Après avoir donné des convenances ["d…aita/arbitrage, règle de vie, régime", qui évoluera négativement en "diète" en français] à ses sujets qui menaient auparavant une vie sauvage, il exporta sa réputation et sa gloire, partout il instaura la justice et l'équité, et les hommes sous son empire devinrent doux et bienfaisants, et vécurent heureux par conséquent. […] Son sage gouvernement bannit les crimes et prodigua l'innocence, la douceur et la félicité. Le poète Hésiode le décrit ainsi : “A cette époque Kronos régnait encore dans le ciel, les mortels vivaient comme des dieux, libres de soucis, de travaux et de souffrances, la cruelle vieillesse ne les affligeait pas, leurs pieds et leurs bras conservaient leur vigueur, ils se réjouissaient dans les festins, loin de tous les maux, et ils mouraient comme en s'endormant. Tous les biens étaient à eux, la terre fertile produisait d'elle-même des récoltes abondantes qu'ils partageaient, heureux et paisibles, avec leurs nombreux et vertueux semblables” [Hésiode, Théogonie 111-119 précités]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.66), Ovide à l'ère impériale romaine ira jusqu'à imaginer que les hommes sous l'autorité de Kronos vivaient tellement en harmonie que les villes n'avaient pas de fortifications, leurs habitants respectant la concorde imposée par Kronos ("L'âge d'or commença. Les hommes préservèrent soigneusement la justice, guidés naturellement par la vertu. Ils ignoraient la peur et les tourments, aucune loi sur des tables de bronze ne les menaçait, aucun coupable ne tremblait devant des juges, inutiles pour assurer la sécurité publique. Les hommes n'abattaient pas les pins des montagnes vers l'Océan afin d'explorer des plages inconnues, ils ne connaissaient pas d'autres rivages que ceux de leur naissance. Les cités ouvertes n'avaient ni fossé ni rempart, ni trompette droite ni clairon courbé, ni casque ni épée, les peuples en paix n'ayant nul besoin de soldats et d'armes. La terre n'était pas sollicitée par le métal, elle ouvrait son sein, produisait tout spontanément, sans être cultivée. Les hommes se repaissaient des aliments qu'elle leur offrait, ils cueillaient les fruits de l'arbousier et du cornouiller, la fraise des montagnes, la mûre sauvage sur la ronce épineuse, le gland tombant de l'arbre divin. Un printemps perpétuel régnait. Les tièdes haleines des doux zéphyrs animaient les fleurs écloses sans semence. La terre préservée de la charrue prodiguait des moissons abondantes. Dans les campagnes se répandaient des fontaines de lait et des fleuves de nectar, et de l'écorce des chênes le miel coulait en une rosée bénéfique", Ovide, Métamorphoses I.89-112), autrement dit les Grecs admettent que l'apport des Minoens, alias Kronos, n'a pas été exclusivement négatif, ils reconnaissent que les Minoens ont apporté les habitudes urbaines de leur Moyen-Orient originel, ils ont introduit le vivre-ensemble sur le territoire de la future Grèce, ou, pour utiliser le mot approprié, des règles "policées/pol…thj", la "politesse/polote…a", le "politique/polotikÒj", étymologiquement l'art de gérer un groupe humain dans un espace limité, "polis/pÒlij" en grec, que les hellénistes traduisent commodément par "cité". Kronos épouse sa sœur Rhéa, il engendre avec elle des enfants qu'il emprisonne dès leur naissance - la mythologie dit qu'il les avale ! -, afin d'empêcher la malédiction paternelle de s'accomplir : Hestia, Déméter, Héra, Hadès, et "Ennosigaios/Ennos…gaioj", littéralement "qui ébranle/™nšqw la terre/Gaia", assimilé plus tard à Poséidon ("Rhéa subit la loi de Kronos et lui donna de glorieux enfants, Hestia, Déméter, Héra aux brodequins d'or, le puissant Hadès au cœur inflexible qui s'est installé sous le sol, le bruyant Ennosigaios et le prudent Zeus, père des dieux et des hommes, dont le tonnerre secoue la vaste terre. Mais le grand Kronos avala ses enfants dès qu'ils quittèrent les flancs sacrés de leur mère pour tomber à ses genoux, il craignait qu'un des fiers petits-enfants immortels d'Ouranos accaparât la royauté, ayant appris par Gaia et Ouranos à la couronne étoilée que son destin, malgré sa puissance, serait de succomber sous l'action de son propre fils, le grand et avisé Zeus. En éveil permanent, il surveillait Rhéa et avala sa propre progéniture, causant à celle-ci une douleur sans borne", Hésiode, Théogonie 453-467 ; "[Kronos] épousa sa sœur Rhéa. Parce que Gaia et Ouranos lui avaient prédit qu'il serait détrôné par un de ses enfants, il les avala dès leur naissance, ainsi disparurent Hestia, Déméter, Héra, puis Pluton [équivalent latin d'Hadès] et Poséidon", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 1.5). Cette pratique finit par révulser Rhéa, qui décide de sauver le prochain bébé qu'elle porte. Elle accouche secrètement dans un lieu retiré, elle confie l'enfant à des Courètes locaux, puis, après avoir emballé de langes une pierre de mêmes dimensions que son nouveau-né, elle revient vers Kronos, auquel elle présente la pierre enveloppée de langes en disant que c'est son nouveau fils, Kronos ne décèle pas la supercherie, il attrape le paquet que lui tend sa sœur-épouse Rhéa et le jette en prison - ou l'avale ! - comme ses autres enfants. C'est ainsi que le nouveau-né, Zeus (étymologie inconnue, à ne pas chercher dans le monde indoeuropéen puisque Zeus est un Sémite comme son père Kronos et comme sa mère Rhéa !), échappe à son père dès sa naissance. Il est nourri et protégé avec des moyens de fortune ("La confusion entre ‟Pléiades” ["Plei£dej", filles d'Atlas] et ‟peleia” ["pšleia/pigeon"] se retrouve chez plusieurs poètes. Moiro de Byzance [poétesse du IIIème siècle av. J.-C.] est la première à avoir déchiffré le vers d'Homère [allusion à l'Odyssée XII.62 évoquant les ‟pigeons tremblants/pšleia tr»rwnej qui apportèrent l'ambroisie à Zeus”] en écrivant dans sa Mnémosyne que Zeus reçut l'ambroisie des ‟Pléiades”. Le critique Cratès [de Mallos, philosophe stoïcien et grammairien du IIème siècle av. J.-C.] s'est approprié l'idée de cette femme. […] Moiro dit dans ses vers : ‟Le grand Zeus fut nourri dans l'île de Crète à l'insu de tous les autres dieux et y grandit, des colombes ["tr»rwn", dérivé du verbe "tršw/craindre, redouter, trembler de peur"] dans sa divine grotte l'alimentaient d'ambroisie puisée dans les flots de l'Océan, un grand aigle s'occupait à récolter un nectar de roche et à le transporter par les airs dans son bec crochu au sage Zeus. Dès que le dieu eut vaincu son père, il donna l'immortalité à l'aigle et l'hébergea sur l'Olympe, il donna le même privilège aux colombes Pléiades qui annoncent l'été et l'hiver”", Athénée de Naucratis, Deipnosophistes XI.80 ; une tradition bizarre rapportée par Athénée de Naucratis, probablement pour relier Zeus à l'usage sémitique de non-consommation du porc, dit que les cris du nouveau-né étaient couverts non pas par les Courètes frappant sur leurs boucliers mais par une truie qui grognait, cette truie a été vénérée par Zeus devenu adulte, qui a décrété que les Sémites dorénavant ne devraient plus consommer la chair de truie ni de porc ["Le cochon était un animal sacré chez les Crétois. Agathocle de Babylone dit, au livre I de son Sur Cyzique : ‟On raconte que Zeus naquit en Crète sur le Dikté, on y pratique secrètement le sacrifice d'une truie parce que l'enfant fut allaitée par une truie qui, en grognant autour du lui, dissimula ses cris aux passants, c'est pour cette raison que les habitants vénèrent cet animal et ne mangent pas sa chair”", Athénée de Naucratis, Deipnosophistes IX.18]). L'identification du lieu de l'événement, de la naissance et de l'enfance de Zeus, reste conjecturelle puisque, nous l'avons vu dans notre précédent paragraphe, on trouve des Courètes un peu partout en Méditerranée orientale. L'opinion commune dit que Rhéa accouche dans l'île de Crète, sur les flancs du mont Dikté (35°07'36"N 25°29'02"E) dans l'est de l'île de Crète, possiblement dans la grotte près de l'actuel village de Psychro découverte à la fin du XIXème siècle (35°09'46"N 25°26'43"E), où les archéologues ont trouvé des traces de fréquentation humaine remontant à l'ère minoenne, puis un autel datant de l'ère mycénienne (dédié à Zeus ?), l'absence d'artefacts au-delà de l'ère des Ages obscurs sous-entend que le site est abandonné à partir de cette époque. Cette tradition s'appuie sur la Théogonie d'Hésiode, qui dit que Zeus naît dans une grotte près de la cité de Lyktos (35°12'28"N 25°22'05"E) dans l'est de la Crète ("Mais prête à enfanter Zeus, père des dieux et des hommes, [Rhéa] supplia ses parents, Gaia et Ouranos à la couronne étoilée, de planifier un moyen d'accoucher secrètement de son fils et de venger la furie paternelle et tous les enfants avalés par le grand et astucieux Kronos. Ceux-ci écoutèrent et exaucèrent le vœu de leur fille, ils lui apprirent le destin réservé au roi Kronos et à son fils au cœur violent, puis ils la conduisirent à Lyktos, au gras pays de Crète, le jour de l'accouchement du plus jeune de ses fils, le grand Zeus. L'immense Gaia le reçut, et la vaste Crète le nourrit et l'éleva. D'abord, à la faveur de l'ombre nocturne, elle le porta rapidement sur les premières hauteurs du Dikté, elle le cacha de ses mains dans une grotte inaccessible, dans les entrailles de la divine Gaia, sur les flancs du mont Aigaios recouvert de bois épais. Puis elle enveloppa de langes une grosse pierre, qu'elle donna au puissant fils d'Ouranos, le premier roi des dieux, qui la saisit et l'engloutit dans son ventre. Le misérable ne prévit pas qu'en avalant cette pierre il sauvait son invincible fils qui, dorénavant préservé du péril, triompherait bientôt de lui par la force de ses bras, le chasserait de son trône et règnerait à sa place sur les immortels", Hésiode, Théogonie 468-491 ; "Indignée de sa barbarie [à Kronos], Rhéa enceinte de Zeus se retira dans l'île de Crête, et elle accoucha dans une grotte du Dikté. Elle le confia aux Courètes et aux nymphes Adrasteia et Idè filles de Mélissos. Celles-ci le nourrirent du lait de la chèvre Amalthée tandis que les Courètes gardèrent la grotte en frappant avec leurs lances sur leurs boucliers, afin d'empêcher que ses cris ne parvinssent à Kronos, à qui Rhéa présenta à avaler une pierre emmaillotée au lieu de son enfant", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 1.6-7 ; "Un oracle prédit à Kronos que son premier fils arracherait un jour le sceptre des mains de son père. Kronos voulut alors se débarrasser de tous ses enfants dès leur naissance. Impuissante à guérir son mari de sa cruelle précaution, Rhéa accoucha secrètement de Zeus et le transporta aussitôt sur le mont Ida, elle le confia aux Courètes qui y habitaient, ceux-ci le donnèrent à des nymphes qui vivaient dans une grotte, en leur demandant d'en prendre grand soin. Les nymphes le nourrirent de miel, et du lait d'une chèvre appelée ‟Amalthée”. Des traces de l'enfance de Zeus existent encore dans l'île de Crète. On dit que, l'enfant ayant été apporté sitôt sorti du ventre de sa mère, son cordon ombilical tomba près du fleuve appelé ‟Triton” ["potamÕv tÕn kaloÚmenon Tr…twna", cours d'eau non identifié en Crète, à ne pas confondre avec le fleuve Triton/Oudhref reliant le lac Tritonide/chott el-Jérid à la corne d'Hespéros/golfe de Gabès où vivent les Atlantes] ce lieu devenu sacré fut appelé ‟Omphalos”, et le terrain alentour, ‟Omphaleion”. La grotte des nymphes où le dieu fut nourri est devenu aussi un lieu sacré, comme les ports au pied de la montagne. Je n'oublie pas ce qu'on raconte sur les abeilles : on dit que Zeus changea leur couleur pour laisser le souvenir de son séjour sur le mont Ida, elles devinrent dorées comme le bronze, et il les rendit insensibles aux variations de l'air et aux intempéries pour supporter les vents et la neige auxquels est exposé ce mont élevé [anecdote confirmant l'importance des abeilles en Crète à l'ère minoenne, particulièrement à Mallia, à une dizaine de kilomètres au nord du mont Dikté]. Il voulut conserver la mémoire de la chèvre qui l'avait nourri en se qualifiant lui-même ‟porteur de l'égide ["a„g…ocoj", dérivé de "a‡x/chèvre"]”. Devenu adulte, il bâtit une cité près du Dikté, son soi-disant lieu de naissance. Les fondations de cette cité aujourd'hui abandonnée sont toujours visibles", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.70). Plus tard, le mont Dikté n'étant pas assez prestigieux à leurs yeux, les biographes de Zeus déplaceront sa naissance et son enfance sur le mont Ida/Psiloritis au centre de la Crète, plus précisément sur le plateau de Nida (35°12'17"N 24°50'28"E), les archéologues ont exploré une grotte à proximité (35°12'30"N 24°49'45"E) renfermant un autel taillé dans le roc et une grande quantité d'objets votifs (trépieds, statues, statuettes d'hommes et d'animaux, coupes, fragments de boucliers en bronze, un tympanon représentant un homme barbu appuyé sur un taureau et soulevant un lion entre deux génies ailés), ce sanctuaire est délimité par un mur de pierres et de débris de toutes sortes (inclus boucliers, chaudrons, céramiques, statuettes, pendentifs), le mobilier est daté de toutes les époques entre le Minoen récent I et l'ère impériale romaine, avec une plus grande proportion à partir de l'ère des Ages obscures (style dit "géométrique"), ce site a donc supplanté peu à peu la grotte de Psychro sur le mont Dikté dès le début de l'ère mycénienne, après la victoire de Zeus sur son père Kronos. D'autres populations situées sur la partie continentale de la future Grèce nient cette tradition crétoise et revendiquent l'enfant Zeus pour eux-mêmes. Callimaque, poète et directeur du Musée d'Alexandrie au IIIème siècle av. J.-C., dans des passages de son Hymne à Zeus trop longs pour être cités ici, raconte comment Zeus voit le jour en Arcadie, sur les flancs du mont Lykaon près du bois dédié à Apollon Parrhasios ("Parras…oj/le Libéré, l'Emancipé"), il est suivi par le géographe Pausanias ("Au nord du temple de Despoina ["la Maîtresse", probable déesse asianique locale, vénérée dans la cité de Lykosoura en Arcadie à l'ère minoenne, 37°23'20"N 22°01'47"E, considérée ultérieurement comme une fille de Déméter par les Arcadiens] est le mont Lykaion, sacré pour les Arcadiens qui le surnomment ‟Olympe” en prétendant que Zeus y fut élevé. Ceux-ci disent que Zeus grandit non pas dans l'île de Crète mais dans un lieu appelé ‟Crétéa” [où les Arcadiens ont bâti un sanctuaire dédié à Zeus, 37°26'53"N 21°59'42"E] au nord du bois dédié à Apollon Parrhasios, ils désignent les nymphes qui nourrirent Zeus par les noms de ‟Theisoa”, ‟Néda” et ‟Agno”", Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 38.2-3). Les Messéniens, à l'ouest des Arcadiens, prétendent aussi que Zeus est né et a été élevé chez eux, sur les flancs du mont Ithome ("En cheminant vers la citadelle de Messène au sommet du mont Ithome, on voit la fontaine Clepsydre. On ne peut pas compter les peuples prétendant que Zeus est né et a été nourri chez eux. Les Messéniens sont du nombre. Ils disent qu'Ithomè et Néda furent ses nourrices, l'une donna son nom au fleuve, l'autre, au mont. Les Courètes ayant soustrait Zeus à la barbarie de son père, ces deux nymphes le lavèrent dans la fontaine Clepsydre, qui fut appelée ainsi par allusion ["KleyÚdra", de "klšptw/voler" et "Ûdwr/eau"]. On continue aujourd'hui de porter l'eau de cette fontaine au temple Zeus Jupiter Ithomate", Pausanias, Description de la Grèce, IV, 33.1). Les habitants de l'Achaïe, au nord de la Messénie, veulent s'approprier pareillement l'héritage ("Aiga, aussi appelée ‟Aigas”, est aujourd'hui complètement abandonnée et son territoire est intégré dans celui d'Aigion [38°15'04"N 22°05'18"E] qui, au contraire, est densément peuplée. Selon la tradition, Zeus y naquit et y fut nourri du lait d'une chèvre. Aratos [de Soles, poète du IIIème siècle av. J.-C.] rappelle cette tradition quand il parle de la ‟sainte chèvre qui approcha ses mamelles des lèvres de Zeus”, il ajoute : ‟Les prêtres de Zeus nomment ‟Olénie” la chèvre qui nourrit leur dieu” pour la rapprocher du nom d'une cité voisine, Olénè [non localisée]. Keryneia [38°12'04"N 22°07'06"E] bâtie à proximité sur un rocher élevé dépend d'Aigion, de même que le territoire d'Helikè, et le bois sacré d'Hamarion dédié à Zeus [non localisé] où le conseil de la Ligue achéenne délibérait sur les affaires communes [à l'ère hellénistique jusqu'en -146])", Strabon, Géographie, VIII, 7.5). Convenons notre incapacité à trancher. On n'imagine pas comment Rhéa aurait pu aller accoucher dans le lointain Péloponnèse sans éveiller les soupçons de son frère-époux Kronos, on n'imagine pas davantage comment le jeune Zeus aurait pu vivre en Crète pendant vingt ans sans être découvert par son père. Remarquons simplement que dans cette affaire Rhéa bénéficie de la complicité de certains Courètes, en Crète ou sur le continent, qui choisissent de trahir leur roi par leur silence, au profit de leur reine révoltée. L'harmonie sociale des Minoens autour de leur roi Kronos, tant vantée par Hésiode, par Diodore de Sicile et par Ovide, n'est donc pas si évidente, certains sujets de Kronos n'hésitent pas à agir secrètement contre lui, estimant que sa politique impériale et sa cruauté sont insupportables. Zeus grandit protégé par ces Courètes de Crète ou d'ailleurs, dans le désir de punir son père Kronos. Pendant ce temps, selon Sanchoniathon cité par Eusèbe de Césarée, l'immensité de l'empire devient ingérable pour Kronos, le Levant sombre dans la misère peut-être à cause de la surpopulation. Afin de limiter les risques de famine, Kronos décide de se castrer volontairement, et il force les Levantins à l'imiter (probable allusion à la pratique sémitique de la circoncision, qu'Hérodote, Histoire II.104, observe chez les Phéniciens, chez les Colchidiens du temps de Sésostris II sous la XIIème Dynastie, et chez les Egyptiens qui comment à cette époque à être dominés par les hyksos, nous renvoyons sur ce sujet à notre paragraphe précédent). Mais finalement il renonce à exercer son pouvoir au Levant, et l'abandonne à des gouverneurs locaux à Byblos/Jbayl et à Bérytos/Beyrouth. Sanchoniathon ajoute que le biographe de Kronos, "Taaut/Q£autoj", alias "Toth" dans la mythologie égyptienne, affuble celui-ci de deux paires d'ailes pour signifier qu'il surveille en permanence ses sujets et dérive peu à peu vers une gouvernance tyrannique ("La peste et la mort dévastant le pays [le Levant], Kronos sacrifia son fils unique à son père Ouranos, il se coupa les parties génitales et força ses compagnons à l'imiter. Peu après, il divinisa un autre de ses enfants morts appelé ‟Muth” qu'il avait eu de Rhéa. Les Phéniciens le surnommèrent indistinctement ‟Thanatos” ["Q£natoj/Mort"] et ‟Plouton” ["PloÚtwn/le Riche, le Prodigue"]. Ensuite Kronos donna la cité de Byblos à la déesse Baaltis appelée aussi ‟Dioné”, et la cité de Bérytos à Poséidon et aux Cabires, agriculteurs et pécheurs qui y consacrèrent les restes de Pontos. Avant ces événements, le dieu Taaut, portraitiste des dieux, avait réalisé les portraits de Kronos et Dagon en recourant aux caractères élémentaires [les lettres de l'alphabet], il avait inventé pour Kronos un insigne royal : quatre yeux devant et derrière la tête, dont deux ouverts et deux fermés, et quatre ailes attachées aux épaules, dont deux levées et deux baissés, voulant signifier que Kronos veillait en dormant et dormait en veillant, volait en se reposant et se reposait en volant", Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique I.10 ; ces quatre ailes rappellent celles du dieu mésopotamien Ninurta, et annoncent celles de Faravahar l'ange gardien du zoroastrisme). Parvenu à l'âge adulte, Zeus libère ses frères et sœurs. Il est aidé en cela par une fille appelée "Mètis" d'origine incertaine ("fille d'Océan" selon pseudo-Apollodore), qui ouvre la porte des geôles où sont enfermés Hestia, Déméter, Héra, Hadès et Ennosigaios - dans le récit mythologique elle donne un émétique à Kronos pour le forcer à vomir les enfants qu'il a avalés, et la pierre enveloppée de langes simulant le nouveau-né Zeus ("La vigueur et les membres superbes du jeune prince crûrent vite. Après des années, trompé par les perfides conseils de la Terre, le grand et astucieux Kronos recracha toute sa progéniture, vaincu par l'habileté et la force de son fils. D'abord il vomit la dernière pierre qu'il avait avalée, que Zeus fixa à la vaste terre de la divine Pytho, sur le flanc du Parnasse, monument pérenne et merveille pour les mortels", Hésiode, Théogonie 492-500 ; "Parvenu à l'âge adulte, Zeus sollicita Métis fille d'Océan, elle donna à Kronos un breuvage qui le contraignit à vomir la pierre puis les enfants qu'il avait avalés, avec lesquels Zeus batailla contre les Titans et Kronos", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 2.1 ; pour l'anecdote, une pierre d'environ un mètre vingt de haut sur quatre-vingt-dix centimètres de diamètre, dont la surface sculptée figure un maillage de fils de laine, sera déposée à Delphes à une date inconnue pour rappeler la pierre avalée jadis par Kronos, Pausanias la verra au IIème siècle ["En sortant du temple [d'Apollon à Delphes] et en tournant à gauche, on voit une enceinte avec le tombeau de Néoptolème fils d'Achille, auquel les Delphiens rendent annuellement des honneurs funèbres comme à un héros. Plus haut à partir de ce tombeau, on voit une pierre de taille moyenne, sur laquelle on verse de l'huile chaque jour, et qu'on enveloppe de laine crue à chaque fête. On croit que cette pierre est celle que Kronos avala à la place de son fils [Zeus] et qu'il recracha ensuite", Pausanias, Description de la Grèce, X, 24.6], elle s'y trouve toujours aujourd'hui, exposée aux touristes au milieu de la salle 11 du musée archéologique de Delphes). Les hellénistes qui affirment que la mythologie grecque est un mensonge poétique ou politique ou philosophique s'empressent de rappeler que "Mètis/MÁtij" en grec signifie "la Ruse, la Tromperie", et en concluent que Mètis a été inventée par Hésiode et ses pairs pour incarner le stratagème employé par Zeus afin de libérer ses frères et sœurs. Nous pouvons facilement balayer ce discours en raisonnant de manière inverse, en rappelant que l'Histoire se construit beaucoup plus souvent par des individus bien réels dont les comportements ont généré des notions, que par des notions inventées d'on-ne-sait-qui pour on-ne-sait-quoi générant des êtres légendaires, ce n'est pas le mot qui crée le personnage (fictif) mais le personnage (réel) qui crée le mot par la lexicalisation de son nom (comme "Mozart" est devenu synonyme de génie musical, ou comme "Napoléon" est devenu synonyme de génie militaire), autrement dit ce n'est pas la notion de ruse qui a engendré un personnage fictif appelé "Mètis", mais plus certainement une femme bien historique appelée "Mètis" qui, par son comportement à l'ère minoenne, a engendré la notion de "ruse/mÁtij". On peut aller plus loin en disant qu'avec le début de la guerre ouverte entre Zeus et Kronos le récit mythologique cesse d'être une fable historicisante pour devenir une fable historique. Les personnages incarnent dorénavant des mouvements de masse, divinisés au fil des siècles dans le sens du bien ou dans le sens du mal, bien établis par l'archéologie, notamment par le passage du Linéaire A au Linéaire B. Zeus a la même ambivalence qu'Abraham : il n'est pas historique parce que des récits divers se sont agrégés à son nom au fil des siècles, mais en même temps il est historique parce qu'il incarne un soulèvement qui appartient bien à l'Histoire, celui de certains Sémites rebelles aidés par des Achéens indoeuropéens contre d'autres Sémites au pouvoir, eux-mêmes en rupture contre leurs racines levantines (Kronos et des frères et sœurs tout-puissants en Crète, sur le continent européen et sur la corne d'Hespéros/golfe de Gabès, contre leurs parents Ouranos et Gaia demeurés au Levant). La lutte entre Ouranos et Kronos, très succinctement évoquée dans la mythologie grecque, se rapportait à la lutte de l'ère minoenne, avant l'éruption de Santorin, entre les vieux Sémites du nord du Croissant Fertile (entre Assur et Anatolie, qui écrivent en cunéiforme) et les jeunes Sémites levantins (qui écrivent en hiéroglyphes puis en alphabet), qui intéresse peu les Grecs : la lutte entre Kronos et Zeus se rapporte à la lutte de l'ère mycénienne, après l'éruption de Santorin, entre les Sémites demeurant fidèles aux anciens usages minoens - dont le sacrifice des prémices - et d'autres Sémites devenus rebelles à ces usages justement à cause de l'éruption cataclysmique de Santorin, héritiers des Minoens mais devenus hostiles aux Minoens, comme Zeus héritier de Kronos mais devenu hostile à Kronos, qui se réfugient sur le territoire continental de la future Grèce, précisément du côté du mont Olympe à la frontière entre Thessalie et Macédoine, bord septentrional de l'empire de Kronos, où des Indoeuropéens en provenance du nord-est se sont installés. Zeus rassemble dans la région de l'Olympe ses frères et sœurs récemment libérés, et tous les autres membres de sa famille qui souhaitent le rejoindre, la première à se présenter est Styx fille d'Océan ("L'océanide Styx s'unit à Pallas [fils de Crios frère de Kronos et frère d'Océan] et enfanta dans son palais Zèlos ["ZÁloj/Zèle"] et Nikè ["N…kh/Victoire"] aux belles chevilles, et les nobles Kratos ["Kr£toj/Pouvoir"] et Bia ["B…a/Force"]. Ceux-ci demeurent partout où Zeus séjourne, ils le suivent sur toutes les routes où il marche, ils sont toujours auprès de Zeus aux lourds grondements. Telle est la récompense obtenue par Styx, immortelle océanide, le jour où l'Olympien lanceur d'éclairs appela tous les immortels sur le mont Olympe en leur promettant que ceux qui l'aideraient à combattre les Titans conserveraient leurs privilèges et que ceux lésés par Kronos obtiendraient des privilèges en proportion de leur engagement : la première à se présenter sur l'Olympe fut l'immortelle Styx avec ses enfants, suivant les conseils de leur père, Zeus pour l'honorer lui prodigua ses bienfaits, il voulut que les dieux prêtassent serment en son nom et que ses enfants demeurassent toujours auprès de lui", Hésiode, Théogonie 383-401). Les "Olympiens", c'est ainsi que nous désignerons dorénavant Zeus et ses frères et sœurs, à la tête des Indoeuropéens achéens aisément enrôlés, entament une guerre contre Kronos qui se prolonge pendant dix ans sans résultat décisif ("Pendant de longs jours ceux-ci et ceux-là combattirent péniblement au cours de mêlées puissantes, les Titans depuis les hauteurs de l'Othrys [mont au sud de la Thessalie, entre le golfe Maliaque au sud et le golfe Pagasétique à l'est, 39°01'00"N 22°42'32"E], les dieux bienfaisants issus de l'amour de Rhéa aux beaux cheveux et Kronos depuis les hauteurs de l'Olympe. La colère douloureuse au cœur, sans répit, ils bataillèrent pendant dix années entières, et nul dénouement n'apparaissait en faveur de l'un des deux partis, pour tous la fin de la guerre resta en suspens", Hésiode, Théogonie 629-638). Les péripéties de cette guerre, ignorées par Hésiode et ses pairs, nous échappent. On s'interroge en particulier sur le rôle joué par Ennosigaios. Nous avons dit plus haut que ce nom, désignant l'un des frères de Zeus, attesté en linéaire B sous la forme "e-ne-si-da-o-ne" dans la tablette KN N 719.2, est un qualificatif signifiant "qui ébranle la terre/Gaia" : cela suggère-t-il qu'Ennosigaios est un capitaine redouté, dont la troupe nombreuse effraie l'adversaire par le bruit qu'elle produit en se déplaçant et en chargeant, semblable à celui d'un séisme ? Très tôt, dès l'époque d'Hésiode, à l'ère archaïque, ce nom-qualificatif est associé à celui de Poséidon, on trouve ainsi une allusion à "Poséidon qui ébranle le sol/Poseid£wn Enos…cqwn" au vers 667 dans Les travaux et les jours d'Hésiode, or Poséidon, nous l'avons bien expliqué, n'est qu'une hellénisation de "maître/pÒsij Addu" le dieu sémitique de l'Orage. Comment Ennosigaios frère de Zeus, associé à la terre, a-t-il pu être confondu au fil du temps avec le dieu Poséidon très antérieur, associé au ciel, plus exactement à l'Orage à la fois destructeur (qui détruit les récoltes par la foudre, les grêles et les inondations) et bienfaiteur (qui apporte la pluie nourricière et fertilisante) de la terre ? Les Grecs ont-ils voulu s'approprier l'antique et prestigieux dieu Poséidon en l'assimilant à un proche de leur dieu Zeus fondateur ? Ennosigaios lui-même, de son vivant, à l'époque de la guerre contre Kronos et après la victoire, s'est-il comporté de façon si terrible qu'il est apparu aux yeux de ses contemporains comme une incarnation de Poséidon ? Est-ce Poséidon qui a reçu le qualificatif d'Ennosigaios, ou est-ce Ennosigaios qui a reçu le surnom de Poséidon ? ou est-ce un mélange des deux ? Mystère. On constate en tous cas qu'après la défaite de Kronos, Zeus victorieux remplace Poséidon/Addu comme propriétaire du ciel (dans notre paragraphe précédent, nous avons vu que Zeus à partir de l'époque mycénienne est représenté dans la même position qu'Addu et ses avatars minoens, bras droit levé tenant un foudre, bras et jambe gauches en avant en position de tirer, nous avons vu que Seth/Addu combattant le serpent Apophis en Egypte minoenne devient Zeus combattant l'hydre Typhon en Grèce mycénienne, nous avons vu que Neith fille de Poséidon/Addu dans l'Egypte et la Libye des hyksos devient Athéna fille de Zeus en Grèce mycénienne), le nom "Poséidon" n'est plus associé à l'Orage céleste, ni à la terre malmenée par les actions du ciel (souvenons-nous qu'un temple minoen dédié à Poséidon "Gaiaochos/qui tient la terre" existe à Thérapné près de Sparte), mais à la mer, ou plus exactement à la terre des profondeurs qui, en bougeant, provoque les mouvements de la mer. La difficulté pour les mythologues réside dans la distinction entre les deux personnages, d'un côté le vieux Poséidon (Addu) dieu de l'Orage sémitique, de l'autre côté le nouveau Poséidon (Ennosigaios) frère de Zeus devenu dieu de la mer. Ainsi le récit de la lutte entre partisans d'Athéna et partisans de "Poséidon" à Athènes sous le règne de Cécrops au XVIème siècle av. J.-C., entre l'éruption de Santorin et le déluge de Deucalion (selon pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 3.1 précité), confond les deux personnages puisqu'il évoque d'abord Poséidon qui "vint le premier en Attique" à l'ère minoenne, "frappa de son trident la terre au milieu de l'Acropole et y fit naître la rivière qu'on appelle aujourd'hui ‟érechthéide”", puis Poséidon qui "inonda la plaine thriasienne et submergea toute l'Attique" après sa défaite contre Athéna sous le règne de Cécrops au début de l'ère mycénienne, autrement dit le dieu de l'Orage dans la première mention au début du récit et le dieu de la mer dans la seconde mention à la fin du récit. Revenons à la Théogonie. La guerre contre Kronos s'enlise. Zeus décide de libérer les Cyclopes, ses oncles, maintenus enchaînés par Kronos, qui ont donc une bonne raison d'en vouloir à Kronos. Les Cyclopes, peu intelligents mais habiles de leurs mains, ont façonné trois armes : l'éclair, le foudre et le tonnerre, qu'ils donnent à Zeus pour le remercier de les avoir libérés ("Puis [Zeus] délivra ses oncles [les Cyclopes] de leurs liens maudits, fils d'Ouranos enchaînés par leur père égaré, qui le remercièrent de ce bienfait en lui donnant le tonnerre, le foudre brûlant et l'éclair jusqu'alors recelés par l'immense Gaia, il les utilisa pour régner sur les mortels et les immortels", Hésiode, Théogonie 501-506 ; "Après dix ans de guerre, Gaia prédit la victoire à Zeus à condition qu'il appelât à son secours les fils d'Ouranos que Kronos avait jetés dans le Tartare. Zeus tua la geôlière Kampè et libéra les Cyclopes, qui lui donnèrent le tonnerre, l'éclair et le foudre, et le casque à Plouton ["PloÚtwn/le Riche, l'Opulent", surnom d'Hadès, qui deviendra "Pluton" en latin], et le trident à Poséidon", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 2.1). Nous devons placer ensuite un épisode qui n'est certainement pas de la main d'Hésiode mais d'un de ses copistes, situé narrativement après la libération des Cyclopes et avant la libération des Hécatonchires, mais, dans l'édition actuelle, inséré maladroitement après la libération des Hécatonchires. Renforcé des nouvelles armes que les Cyclopes lui ont données, Zeus ravive la guerre, il lance des assauts furieux contre les Titans, provoquant des destructions et des incendies. Se produisent alors des phénomènes qui dépassent largement les effets ordinaires de ces armes. Des vapeurs brûlantes sortent du sol, la terre tremble en émettant un grondement monstrueux. Les Olympiens autant que les Titans sont sidérés par ces bouleversements effrayants émanant d'on-ne-sait-où, les Olympiens tentent sans succès de profiter de l'occasion, les Titans se défendent avec l'énergie du désespoir. La situation reste indécise ("Zeus ne retint plus sa fougue, son âme se remplit d'une bouillante ardeur, et il déploya toute sa force. Depuis les hauteurs du ciel et de l'Olympe il lança l'éclair sans répit, il projeta de sa main vigoureuse les carreaux de son foudre avec le tonnerre et l'éclair redoublé, il roula le feu divin. Le sol source de vie crépita dans l'incendie, les vastes forêts crièrent dans le brasier. La terre bouillit, et les flots d'Océan et la mer stérile. Une brûlante vapeur enveloppa les Titans au sol, une flamme immense s'éleva dans le ciel, les plus braves guerriers furent aveuglés par le foudre et l'éclair. Le feu divin couvrit le chaos. Les yeux virent et les oreilles entendirent un équivalent aux mouvements du haut Ouranos étendu sur Gaia jadis, le fracas des dieux au combat était comme le tumulte de celle-ci écrasée par celui-là l'écrasant. Et les vents furieux s'invitèrent pour soulever des tourbillons de poussières, se mêlèrent au tonnerre, à l'éclair et au brillant foudre de Zeus, provoquant cris et clameurs dans les deux armées opposées. Cette effroyable lutte dura bruyamment, partout on rivalisa en valeur. La bataille faiblit. Les uns et les autres s'obstinèrent sans faiblir à lancer des puissants assauts", Hésiode, Théogonie 687-712). Cet épisode a toutes les caractéristiques d'un prélude à l'éruption volcanique de Santorin, qui touche le cœur de l'empire minoen des Titans, catastrophe naturelle survenue en pleine guerre de pouvoir entre deux adversaires, que l'un cherche à mettre à profit contre l'autre. Hésiode et ses pairs mythologues assimilent ces vapeurs et tremblements du sol à l'action des Hécatonchires, dont nous avons dit qu'ils personnifient les phénomènes naturels terrestres ou célestes de grande ampleur et inexpliqués. Les Hécatonchires sont toujours enfermés dans le Tartare, comme naguère les Cyclopes, à cause de Kronos. Zeus décide les libérer à leur tour ("Mais [Zeus] le fils de Kronos et les autres dieux immortels issu de l'amour de Kronos et Rhéa aux beaux cheveux ramenèrent [les Hécatonchires] à la lumière du jour, sur le conseil de Gaia qui leur avait clairement signifié qu'avec eux ils obtiendraient la victoire et une gloire éclatantes", Hésiode, Théogonie 624-628). Pour les amadouer, il leur offre de l'ambroisie. Or nous avons dit plus haut que l'ambroisie, qui désigne pudiquement "la boisson des dieux" dans les textes à partir de l'ère archaïque, renvoyait sans doute au sang des enfants, ou des adultes substitués aux enfants, immolés lors des sacrifices de prémices à l'ère minoenne. Doit-on déduire que Zeus, pour plaire à ses oncles (les Hécatonchires sont les frères de Kronos), organise un sacrifice de prémices ? C'est possible. Quand les Hécatonchires sont enivrés par l'ambroisie, Zeus leur demande de l'aider à vaincre Kronos, leur ancien geôlier. Les Hécatonchires acceptent. Les Olympiens, frères de Zeus et partisans achéens indoeuropéens, enthousiasmés par ces nouveaux alliés monstrueux, reprennent courage ("Mais quand les dieux leur offrirent [aux Hécatonchires] le nectar et l'ambroisie, réservés aux dieux, ils retrouvèrent leur courage intérieur. Le père des hommes et des dieux leur dit : ‟Ecoutez-moi, nobles rejetons de Gaia et Ouranos, je vous parle selon mon cœur. Depuis longtemps, les uns contre les autres, nous bataillons tous pour le pouvoir et pour la victoire, dieux Titans contre enfants de Kronos. A vous de montrer face aux Titans votre force terrible et vos bras invincibles au combat. Prouvez votre loyauté en vous souvenant que je vous ai libérés de vos pénibles liens en vous tirant des brumes ténébreuses vers la lumière du jour”. Ainsi parla-t-il. L'irréprochable Kottos répondit : ‟Seigneur, tu ne nous apprends rien de nouveau. Nous savons que tu es le plus avisé et le plus intelligent, tu as guéri les immortels de leurs maux, par ta sagesse tu nous as libérés de nos pénibles liens en nous tirant des brumes ténébreuses jusqu'ici, seigneur fils de Kronos. Pour cela, pleins d'un courage ferme et volontaire, nous bataillerons pour t'assurer la victoire, en bravant les Titans au combat”. Ainsi parla-t-il. Les dieux auteurs de tous les bienfaits applaudirent à ce discours, et leur cœur brûla à nouveau pour la guerre", Hésiode, Théogonie 639-666). L'épisode suivant, l'engagement des Hécatonchires dans la guerre contre les Titans, décrit comme une terrible bataille dans la Théogonie, n'est que la traduction mythologique de l'éruption de Santorin. Les cent bras des Hécatonchires "soulevant des énormes rochers dans leurs mains robustes" ne sont qu'une image poétique des cent jets de magma propulsant dans l'air les pierres de Santorin, le fracas qui "retentit tout autour dans la mer immense" jusqu'à ébranler le mont Olympe n'est qu'une image poétique de l'onde de choc parcourant la mer Egée autour de Santorin jusqu'aux rivages de Thessalie et de Macédoine d'un côté, jusqu'à l'Anatolie, au Levant, à l'Egypte de l'autre côté, les sanglots et les clameurs "montant jusqu'au ciel étoilé" renvoient aux sanglots et aux clameurs des habitants de Santorin piégés par le cataclysme - dont ceux d'Akrotiri - et de leurs parents en Crète et dans les comptoirs minoens alentours qui y assistent impuissants ("Une grande bataille s'engagea impliquant tous les dieux Titans et les rejetons de Kronos, et ceux [les Hécatonchires] que Zeus avait tiré du sombre Erèbe ["Ereboj/l'Obscurité, la Noirceur", autre nom du Tartare] jusqu'à la lumière du jour, terribles et puissants, dotés d'une force prodigieuse, qui avaient chacun cent bras terribles sortant de leurs épaules et cinquante têtes attachées au-dessus de leur tronc vigoureux. Les adversaires des Titans dans cette atroce bataille soulevèrent des énormes rochers dans leurs mains robustes. De leur côté les Titans pleins d'ardeur raffermirent leurs rangs. Les deux parts témoignèrent de leur force et leurs bras. Un fracas retentit tout autour dans la mer immense. La terre mugit longuement, le vaste ciel ébranlé gémit, le haut Olympe chancela sur sa base dans le choc des immortels. Un lourd tremblement parvint jusqu'au Tartare brumeux, mêlé au l'épouvantable bruit des pas lancés à l'assaut et des coups violents, des traits chargés de sanglots, des clameurs montant jusqu'au ciel étoilé, du heurt effroyable de la mêlée", Hésiode, Théogonie 665-686). Hésiode raconte que le combat se termine par un effondrement du sol, que les rochers lancés par les Hécatonchires, retombés et accumulés, ont alourdi, et par l'engloutissement des Titans. C'est encore une image poétique de l'effondrement de la chambre magmatique de Santorin, causé par l'accumulation des matières volcaniques dont nous avons parlé dans notre alinéa précédent, et du tsunami dévastateur qui en a résulté. Les Titans survivants, dont Kronos et ses frères et sœurs, se retrouvent prisonniers sous la terre, dans le Tartare, les Hécatonchires les suivent pour en fermer les portes derrière eux et s'assurer qu'ils ne remonteront plus jamais à la surface. En d'autres termes, les Hécatonchires retournent dans le Tartare, mais comme gardiens et non plus comme prisonniers. Zeus maintient les Titans en résidence surveillée dans le Tartare… en se débarrassant en même temps des encombrants et sanglants Hécatonchires qu'il n'a pas envie de maintenir à ses côtés dans le monde dont il est dorénavant le maître ("En première ligne les acharnés Kottos, Briarée et Gyès suscitèrent un carnage. De leurs bras vigoureux ils lancèrent l'un après l'autre trois cents rochers, ils recouvrirent les Titans d'un sombre nuage de traits, qu'ils chassèrent dans les flancs de la terre, puis ils enchaînèrent les vaincus au plus profond. Neuf jours et nuits seraient nécessaires à une enclume de bronze pour traverser le ciel, avant d'atteindre la terre le dixième jour : telle est la distance jusqu'au Tartare brumeux, neuf jours et nuits seraient nécessaires à une enclume de bronze depuis la terre pour en atteindre le fond le dixième jour. Ce lieu est entouré d'un mur de bronze. Sa bouche étroite est fermée par trois sombres barrières. Au-dessus se trouvent les racines de la terre et les abysses de la mer stérile. Dans ce gouffre impur et lointain demeurent les Titans, par la volonté de Zeus le rassembleur de nuages. La sortie leur est interdite. Poséidon a fermé sur eux les portes de bronze, le mur s'étend des deux côtés, et Gyès, Kottos et le violent Briarée les surveillent étroitement au nom de Zeus porteur de l'égide", Hésiode, Théogonie 713-735). Ensuite le vainqueur distribue les trophées ("Quand les dieux bienheureux eurent vaincu les Titans et terminé la guerre, ils poussèrent, selon le conseil de Gaia, l'Olympien Zeus à la large vue de prendre le pouvoir et de commander aux immortels. Zeus répartit les honneurs", Hésiode, Théogonie 881-885). Zeus se réserve le ciel et la terre, Ennosigaios reçoit la mer, et Hadès devient le seigneur des mondes souterrains, les Enfers, inclus le Tartare, autrement dit Hadès est chargé du sacerdoce de la Justice sur les vivants et les morts ("Nous sommes trois frères issus de Kronos, enfantés par Rhéa : Zeus, moi, et en troisième Hadès le seigneur des morts. Le monde a été partagé en trois, chacun a eu un lot. Après tirage au sort, j'ai obtenu d'habiter à jamais la mer blanche, Hadès, l'ombre brumeuse, et Zeus, le vaste ciel avec son éther et ses nuages", Iliade XV.187-192 ; on note dans ce livre XV de l'Iliade que le locuteur est désigné tantôt comme "Ennosigaios/Ebranleur de la terre" [Iliade XV.173, 184, 218 et 222], tantôt comme "Poséidon Enosichthon/Ebranleur du sol" [Iliade XV.205], tantôt comme "anax/seigneur Poséidon" [Iliade XV.158], et qu'il s'éclipse en plongeant dans la mer, laissant ses alliés achéens dépités [Iliade XV.218-219], c'est un exemple de la confusion évoquée précédemment entre le vieux Poséidon dieu de l'Orage et le jeune Ennosigaios frère de Zeus associé à la mer, entre l'emblème des Titans vaincus figurant les Minoens traditionnalistes et le capitaine des Olympiens vainqueurs figurant les Minoens rebelles et leurs alliés achéens indoeuropéens ; "Ainsi armés [par les Cyclopes], [les Olympiens] vainquirent les Titans, ils les enfermèrent dans le Tartare en leur donnant les Hécatonchires comme gardiens. Puis ils divisèrent l'empire du monde en trois parts, qu'ils tirèrent au sort : Zeus reçut le ciel, Poséidon, la mer, et Plouton, l'Hadès", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 2.3), un copiste d'Hésiode a ajouté qu'Hadès règne avec son épouse Perséphone (qui est à la fois la nièce et la cousine d'Hadès, puisqu'elle a pour père Zeus frère d'Hadès, et pour mère Déméter sœur de Kronos père de Zeus ; "Là se trouve l'entrée de la demeure sonore du dieu souterrain, le puissant Hadès, avec la redoutable Perséphone. Un chien terrible [Cerbère] la garde, implacable et rusé : il flatte avec sa queue et ses oreilles celui qui approche, mais ensuite il lui interdit de faire demi-tour, et il dévore ceux qu'il surprend à repasser la porte", Hésiode, Théogonie 767-773). Styx est récompensée pour son engagement spontané auprès de Zeus : son nom est donné à une rivière censée sortir des Enfers ("Zeus consacra solennellement aux dieux l'eau de Styx sortant de l'Hadès par un rocher, ainsi il honora Styx pour le soutien qu'elle-même et ses enfants lui avaient apporté dans la guerre contre les Titans", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 2.5), sur laquelle les dieux prêtent serment ("Là demeure la déesse odieuse aux immortels, la terrible Styx fille ainée d'Océan qui revient toujours à sa source [selon la conception antique, un unique Océan entoure tous les continents, tel un fleuve qui s'alimente lui-même]. Elle réside loin des dieux, dans un lieu illustre couronné de hauts rocs, partout des colonnes d'argent s'y dressent vers le ciel. […] Sous le vaste sol depuis le fleuve sacré, un bras d'Océan s'écoule à travers l'obscurité, qui constitue le dixième de ses eaux. Les neuf autres bras d'Océan roulent en tourbillons argentés autour de la terre et sur le large dos de la mer avant de se perdre dans les flots salés, ce bras-ci est le seul à déboucher au haut d'un rocher, fléau redouté des dieux. Quand l'un des immortels maîtres des cimes enneigées de l'Olympe répand cette eau pour parjurer, il est privé de souffle pour une année, il ne peut plus approcher de ses lèvres l'ambroisie ni le nectar pour s'en nourrir, il git sans haleine et sans voix sur une couche, enveloppé d'une cruelle torpeur. Au terme de ce supplice d'un an, une série d'épreuves plus dures l'attend. Durant neuf ans il est tenu à l'écart des dieux, durant neuf ans il ne participe pas à leurs conseils ni à leurs banquets, ce n'est que la dixième année qu'il partage à nouveau les discussions entre immortels maîtres du palais de l'Olympe. Tel est le grave serment garanti par l'eau future et passée de Styx qui court à travers ce pays rocheux", Hésiode, Théogonie 775-801). La localisation de cette rivière n'est pas certaine. La tradition jusqu'à aujourd'hui identifie le Styx à l'affluent du fleuve Krathis dont la source se trouve près de l'antique cité de Nonacris (non localisée) en Arcadie, sur l'un des flancs du mont Chelmos/Aroania (37°59'07"N 22°11'51"E), charriant une eau corrosive qui, pour l'anecdote, a possiblement servi à empoisonner Alexandre le Grand en -423 ("L'eau [du Styx] qui s'écoule d'un rocher près de Nonacris sur un autre haut rocher, qu'elle traverse avant de se jeter dans le fleuve Krathis, est un poison mortel pour les hommes et les animaux. On apprit cela par les chèvres qui la buvaient. On découvrit par la suite ses caractéristiques extraordinaires. Elle brise les vases de verre, de cristal, de myrrhe ou de n'importe quel autre minerai, elle corrode ceux en corne, en os, en fer, en cuivre, en plomb, en étain, en argent, en électre, même les vases en or dont [Sappho] la célèbre Lesbienne assure pourtant qu'ils ‟ne connaissent pas la rouille”. Les dieux donnent souvent aux choses les plus viles une propriété secrète qui les rend supérieures à celles de valeur, ainsi le vinaigre dissout les perles, le diamant, la plus dure de toutes les pierres, est amolli par le sang de bouc : de même, le sabot des chevaux est le seul contenant que l'eau du Styx ne détruit pas. On dit que cette eau fut utilisée pour empoisonner Alexandre fils de Philippe II, mais j'ignore si cela est vrai", Pausanias, Description de la Grèce, VII, 18.4-6). Le volcan de Santorin s'apaise, mais les perturbations géologiques qu'il a suscitées causent des répliques les années et les décennies suivantes, les rochers tombés dans la chambre magmatique se calent, se poussent, se tassent, et à chacun de leurs mouvements ils provoquent des ondes qui se transforment en nouveau tsunami. La mythologie conserve le souvenir de ces répliques étalées sur le XVIème siècle av. J.-C. Un passage de la Théogonie (dû à Homère ? ou à l'un de ses copistes ?) raconte comment, après l'effondrement des Titans, c'est-à-dire après l'éruption de Santorin, Gaia/la terre engendre un nouveau monstre, "Typhée/TufweÚj" (à ne pas confondre avec l'homonyme hydre "Typhon/Tufîn" née d'Héra dont nous avons parlé dans notre alinéa précédent), "proférant des sons étranges", "étendant un grand fracas à toute la terre et au haut ciel et sur les flots de l'Océan" et "projetant partout des hautes vagues sur le rivage", que Zeus réussit rapidement à contenir et à vaincre ("Quand Zeus eut chassé les Titans du ciel, l'énorme Gaia s'unit au Tartare et, avec l'aide d'Aphrodite d'Or, engendra son dernier enfant, Typhée, aux bras robustes et aux pieds infatigables, de ses épaules sortaient cent têtes horribles de serpent dardant une langue noire, une lueur de feu jaillissait de leurs yeux à travers les sourcils, ces têtes hideuses proféraient des sons étranges, tantôt compréhensibles seulement par les dieux, tantôt semblables au mugissement d'un taureau fier et indompté, ou d'un lion impitoyable, ou aux cris stridents d'un chiot ou au sifflement de l'écho en montagne. Le jour de sa naissance eût été un malheur sans remède, il eût dominé sur les mortels et les immortels, si [Zeus] le père des hommes et des dieux ne l'eût pas découvert. Celui-ci tonna fort, et un grand fracas s'étendit à toute la terre, et au haut ciel, et sur les flots de l'Océan, et dans le profond Tartare. Le grand Olympe vacilla sous les pieds de son seigneur partant en guerre. Le sol gémit, la mer aux eaux sombres fut assaillie par les deux adversaires, par le tonnerre et l'éclair autant que par le feu vomi du monstre, par les vents furieux autant que par le foudre. Partout la terre bouillit, et le ciel, et la mer. Partout des hautes vagues furent projetées contre le rivage, causées par le duel des immortels. Un tremblement incoercible secoua le monde, Hadès le souverain des morts frémit, les Titans enfermés dans le Tartare autour de Kronos frissonnèrent en entendant ce bruit interminable et le terrible combat. Zeus concentra ses forces et rassembla ses armes, tonnerre, éclair et foudre flamboyant, il se dressa du haut de l'Olympe et frappa. Il embrasa d'un coup les grosses têtes de l'effroyable monstre qui, vaincu par ce coup cinglant, mutilé, s'écroula en fracassant la terre. Une flamme s'échappa du corps du géant foudroyé dans les vallons escarpés couverts d'épaisses forêts, une large superficie de la terre brûla, exhalant une immense vapeur, tout fondit comme l'étain que les jeunes forgerons recueillent dans le creuset sous le trou de l'âtre, comme le fer solide dévoré dans la montagne par le foyer du divin Héphaistos. Ainsi la terre se consuma dans un incendie flamboyant. Zeus furieux le jeta dans le vaste Tartare", Hésiode, Théogonie 820-867) : nul doute que ce Typhée n'est qu'une image poétique d'un tsunami provoqué par une réplique de l'éruption de Santorin. L'inondation de l'Attique sous le règne de Cécrops mentionnée précédemment (selon pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 3.1 précité), pendant la guerre entre partisans d'Athéna et partisans de Poséidon, renvoie aussi à une réplique. L'inondation désignée commodément comme "déluge de Deucalion" sous le règne de Cranaos, fils et successeur de Cécrops, constitue la troisième réplique après l'éruption de Santorin (selon Platon, Critias 111e-112a précité). La Théogonie elle-même sous-entend ces répliques, car elle dit qu'après la victoire des Olympiens, c'est-à-dire après l'éruption de Santorin, l'Hécatonchire Briarée, qui a été l'un des artisans de cette victoire/éruption, ne reste pas longtemps sous terre comme ses semblables : Briarée quitte le Tartare et revient à la surface pour épouser Kymopoleia fille d'Ennosigaios ("Au-delà [des portes de bronze qui ferment l'entrée du monde souterrain], loin des dieux, dans l'abime brumeux, vivent les Titans, gardés par les illustres auxiliaires de Zeus sous le lit d'Océan : Kottos et Gyès. En raison de sa bravoure, Briarée est devenu le gendre d'Ennosigaios, qui lui a donné pour épouse sa fille Kymopoleia", Hésiode, Théogonie 813-819). Contemporain d'Hésiode, Homère dans l'Iliade raconte qu'après sa prise de pouvoir Zeus est menacé d'un putsch de la part d'Héra, Poséidon et Athéna, et que le putsch est déjoué par l'intervention de Thétis et de Briarée "que les hommes surnomment ‟Aigaion/A„ga…wn”", peut-être un surnom affectif donné par les Achéens que Briarée a aidés durant la guerre contre Kronos, dérivé de l'étymon "ak" désignant le nord selon l'hypothèse exposée à la fin de notre paragraphe précédent ("Tu disais [c'est Achille qui parle à sa mère Thétis] comment, seule parmi les immortels, tu avais préservé d'un sombre désastre [Zeus] le fils de Kronos aux nuées noires, à l'époque où les dieux de l'Olympe voulurent tous l'enchaîner, Héra, Poséidon, Pallas Athéna. Tu allas à lui, déesse, et tu sus le soustraire aux chaînes, en appelant au sommet de l'Olympe l'Hécatonchire appelé ‟Briarée” par les dieux et surnommé ‟Aigaion” par les hommes, dont la force dépassait celle de son père [Ennosigaios, dont Briarée est devenu le gendre en épousant Kymopoleia] : il vint s'asseoir près du fils de Kronos en gloire, et les dieux effrayés n'osèrent plus l'enchaîner", Iliade I.397-406). On doit comprendre, derrière cette séquence mythologique, que les Olympiens se déchirent aussitôt après leur victoire contre les Titans, mais que leurs différends sont brusquement anéantis par une soudaine réplique - suscitée par Briarée -, et que, face à l'adversité, ils reforment l'union sacrée autour de Zeus. Briarée a une fille, Eubée, qui donnera son nom à la grande île au nord-est de l'Attique (selon l'article "Carystos" des Ethniques de Stéphane de Byzance, et selon le scholiaste anonyme du vers 1165 précité du livre I des Argonautiques d'Apollonios de Rhodes). Doit-on déduire de cette généalogie que la navigation le long de la façade maritime de l'Eubée, balayée par des vents et des courants violents, est difficile pour les marins grecs de l'ère mycénienne (elle le sera encore en -480 pour les marins perses de Xerxès Ier, qui se fracasseront sur ses côtes !), et que, pour cette raison, l'île est apparue aux yeux de ceux-ci comme la fille du violent Briarée ? Selon Pausanias (Description de la Grèce, II, 1.6 et 4.6 précités), nous renvoyons ici encore à notre paragraphe précédent, Briarée sert d'arbitre lors d'un conflit en Corinthide opposant des partisans de Poséidon à des partisans d'Hélios (dieu-Soleil et neveu de Kronos), Briarée déclare vainqueur Poséidon (c'est-à-dire Addu le dieu de l'Orage hérité des Minoens… ou Ennosigaios frère de Zeus, surnommé "Poséidon", beau-père de Briarée ?), l'isthme de Corinthe est désormais dédié à Poséidon, les partisans d'Hélios sont relégués au sommet d'un promontoire, l'Acrocorinthe, où Hélios sera plus tard supplanté par Aphrodite, possible avatar de la déesse sémitique de l'amour Ishtar/Astarté, sœur de Kronos. On doit probablement lire cet épisode comme une nouvelle réplique à l'origine d'un tsunami ayant ravagé les côtes du golfe Saronique, et contraint les Minoens fidèles à Kronos à se réfugier vers la partie orientale de l'isthme de Corinthe, sur les côtes du golfe de Crissa/Corinthe. Briarée, acteur terrible de l'éruption de Santorin vers -1600, réapparaîtra ponctuellement au cours des siècles pour désigner d'autres phénomènes cataclysmiques. Ainsi Philostrate montre Apollonios de Tyane supplier les dieux de ne pas réveiller Aigaion - surnom de Briarée - afin de préserver les cités ioniennes ("[Apollonios de Tyane] vint dans l'assemblée des Ioniens, il demanda : ‟Quelle est cette coupe ?”, on lui répondit : ‟C'est la coupe de la ligue ionienne”. Il y mit du vin et offrit une libation en s'écriant : ‟O dieux des cités ioniennes, assurez à ces belles colonies une mer sûr et bienfaisante, qu'Aigaion Ebranleur du sol ["Seis…cqon"] ne les renverse jamais !”. Il pria ainsi certainement parce qu'il prévoyait le séisme qui plus tard affligea Smyrne, Milet, Chio, Samos et plusieurs autres cités ioniennes", Philostrate, Vie d'Apollonios de Tyane IV.6). Aristote dit incidemment que les Colonnes d'Héraclès/Gibraltar étaient appelées jadis "Colonnes de Briarée", parce que l'océan Atlantique était vu comme l'une des demeures du monstrueux Briarée, avant qu'Héraclès ruine cet angoissant fantasme en prouvant qu'on peut y naviguer ("Selon Aristote, les Colonnes dites aujourd'hui ‟d'Héraclès” étaient jadis ‟de Briarée”. En purgeant la terre et les mers des monstres qui les infestaient, Héraclès devint le bienfaiteur des hommes et éclipsa le nom de Briarée, ceux-ci témoignèrent de leur reconnaissance en dédiant ces Colonnes à Héraclès", Elien, Histoires diverses V.3). Au vers 1165 précité du livre I de ses Argonautiques, Apollonios de Rhodes montre les Argonautes longer l'embouchure du Rhyndakos/Orhaneli (servant de frontière entre la Mysie et la Bithynie ; dans l'Antiquité le Rhyndakos était un fleuve qui se jetait dans la Propontide/mer de Marmara, mais les alluvions fluviales ont reculé la côte au fil du temps, et aujourd'hui le Rhyndakos/Orhaneli est devenu une rivière, affluent du fleuve Makestos/Simav) où se trouve le "grand tombeau d'Aigaion [surnom de Briarée]", le scholiaste anonyme déjà mentionné explique ce vers en rappelant que, selon Cinéthon de Sparte dont les œuvres n'ont survécu qu'à l'état fragmentaire, poète épique contemporain d'Homère et d'Hésiode, Briarée/Aigaion est entré en conflit on-ne-sait-quand contre Poséidon (le dieu minoen ? ou son beau-père homonyme ?), qui l'a finalement vaincu sur les bords du Rhynakos/Orhaneli. Doit-on voir dans cette ultime intervention de Briarée une ultime réplique de Santorin, un ultime tsunami moins violent que les précédents, qui s'est brisé sur les côtes accidentées de l'Hellespont/Dardanelles et de la Propontide/mer de Marmara, préservant les populations sémitiques et achéennes indoeuropéennes des bords du Pont-Euxin/mer Noire ? Peu importe. Retenons simplement que la victoire de Zeus contre son père Kronos ne signifie pas l'avènement d'un monde facile, confortable, cordial, apaisant, contrairement à ce qu'affirme Diodore de Sicile qui écrit longtemps après les faits et les idéalise ("Zeus fils de Kronos n'eut pas les vices de son père, il se montra doux et affable envers tous les peuples, qui le considérèrent comme un père. Il prit la couronne après que Kronos eut abdiqué de lui-même ou contraint par ses sujets dont il avait attiré la haine. Ayant vaincu son père et les Titans venus l'attaquer, Zeus demeura un roi paisible. Il parcourut toute la terre pour répandre ses bienfaits sur tous les hommes. Très courageux, riche d'autres vertus, il devint maître du monde entier. Il s'employa à rendre ses sujets heureux, en punissant sévèrement les méchants et les impies. Après sa mort, les peuples l'appelèrent ‟Zeus”, c'est-à-dire ‟le Vivant”, parce qu'il leur avait appris à bien vivre. Ils l'élevèrent dans le ciel pour l'honorer, et lui déférèrent le titre de dieu et seigneur éternel de tout l'univers", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.61 ; "[Zeus] se distingua parmi tous les autres par son courage, son intelligence, son équité, toutes les vertus. Quand il monta sur le trône de son père, il combla les hommes de ses bienfaits. Il leur enseigna la justice mutuelle, il mit fin à leurs violences continuelles en établissant des arbitres et des juges entre eux pour régler leurs différends. Il les soumit à des lois, il assura la sécurité publique en attirant les bons et en effrayant les méchants, il parcourut presque toute la terre pour exterminer les voleurs et les scélérats et établir partout l'égalité et la démocratie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.71). Hésiode dans Les travaux et les jours dit clairement que l'avènement de Zeus correspond à la fin de l'"âge d'or" de Kronos, et le début de l'"âge d'argent", marqué par l'effondrement de la foi dans les dieux, par la prétention anarchique des hommes à vivre seulement par eux-mêmes, et par leurs discordes, leurs bagarres continuelles, leurs perversions en conséquence de cette prétention libératrice ("Ensuite une génération d'argent bien inférieure [à la génération d'or] fut créée par les habitants de l'Olympe, qui ne ressemblait ni par la force ni par l'intelligence à la génération d'or. Les enfants grandissaient pendant cent ans sans mûrir près de leur mère, dans leur maison. Parvenus à l'entrée de l'adolescence, ils vivaient peu de temps, souffrant mille maux à cause de leur hybris. Ils refusaient d'adorer les immortels et de sacrifier aux saints autels des Bienheureux, selon la loi des hommes à demeure [autrement dit la loi des sédentaires, par opposition aux nomades considérés comme des barbares sans foi ni loi à l'ère mycénienne jusqu'à l'ère archaïque où Hésiode écrit]. Zeus fils de Kronos les anéantit, irrité parce qu'ils ne rendaient pas hommage aux divins habitants de l'Olympe. Quand ils se retrouvèrent sous terre à leur tour, ils furent appelés ‟Bienheureux mortels”, secondaires mais encore honorables", Hésiode, Les travaux et les jours 127-142). Ovide précise que, durant cet âge d'argent, le climat est très perturbé, les hivers sont très froids, nécessitant de construire des abris mieux isolés que les cabanes d'antan, et de défricher et d'ensemencer des nouveaux terrains pour produire et accumuler davantage de nourriture, cela raccorde avec les perturbations climatiques planétaires observées après chaque grosse éruption volcanique dont nous avons parlé dans notre alinéa précédent, en l'occurrence avec la baisse générale de la température après l'éruption de Santorin vers -1600 ("Quand Jupiter [Zeus] eut jeté Saturne [Kronos] dans le sombre Tartare, l'empire du monde lui appartint. Alors commença l'âge d'argent, inférieur au précédent mais préférable à l'âge de bronze qui suivit. Jupiter [Zeus] diminua la durée du printemps, il instaura quatre saisons partageant l'année : l'été, l'automne inégal, l'hiver, et le printemps raccourci. Des chaleurs dévorantes commencèrent à embraser l'air, des vents condensèrent les eaux en glace. On chercha des abris. Les maisons étaient des grottes, des touffes d'arbustes, des cabanes de feuillages. Des longs sillons reçurent les semences de Cérès [Déméter], et les jeunes taureaux gémirent et peinèrent sous le joug", Ovide, Métamorphoses I.113-124). Cet âge d'argent correspondant aux années juste après le cataclysme, marqué par les tensions et les difficultés alimentaires permanentes, est suivi par un "âge de bronze" durant quelques décennies, où les tensions muent en guerres, et où les famines muent en razzias, celles-ci et celles-là recourant au bronze des armes, jusqu'à un événement qu'Hésiode passe sous silence parce que ce n'est pas son sujet, c'est-à-dire la troisième réplique désignée commodément comme "déluge de Deucalion", qui n'est pas un déferlement d'eau en provenance du ciel comme les antiques déluges de Ziusudra/Atrahasis/Uta-napishti ou de Noé, mais un déferlement d'eau en provenance de la mer provoqué par un nouveau tsunami venu de Santorin dans la seconde moitié du XVIème siècle av. J.-C. impactant autant Athènes où règne Cranaos à l'ouest que les îles anatoliennes où règne Makar/Makareus à l'est ("Zeus père des dieux créa une troisième génération de mortels, celle de bronze, bien différente de la génération d'argent, tels des frênes robustes et terribles. Ils ne se plaisaient que dans les sanglants travaux d'Arès [dieu de la guerre] et dans l'hybris, se rassasiant non pas de pain mais d'acier qui durcissait leur cœur, leur force était indomptable, leurs bras attachés par l'épaule à leur tronc vigoureux étaient invincibles. Leurs armes étaient en bronze, leurs maisons étaient en bronze, ils n'œuvraient qu'avec le bronze car le fer n'existait pas encore. Ils succombèrent de leurs propres mains, et descendirent dans la demeure moisie du froid Hadès sans laisser un nom après eux. Malgré leur vaillance effrayante, la sombre mort les saisit et ils quittèrent la brillante lumière du soleil", Hésiode, Les travaux et les jours 143-155). En parallèle à Hésiode, on doit lire Diodore de Sicile, qui dit que le nouveau tsunami noie une grande partie des réserves de fruits et légumes, et les terrains qui les produisent, mais que les îles proches de l'Anatolie dominées par Makar/Makareus sont relativement épargnées, et attirent les survivants, au grand bénéfice de ce dernier et de ses fils ("Le déluge [de Deucalion] qui survint jeta dans de grandes calamités le continent en face [des îles de Lesbos, Chio, Kos et Rhodes]. L'inondation détruisit les fruits pour de nombreuses années. Cela créa une famine qui, associée à la corruption de l'air, provoqua la peste dans les cités. Les îles, au contraire, bien exposées aux vents, conservèrent un air sain pour leurs habitants et une grande abondance de fruits, elles furent surnommées ‟îles Makarées” [calembour entre "m£kar/heureux, prospère, fortuné" et le nom de Makar/Makareus], selon quelques-uns en référence aux fils de Makareus qui y régnaient, peu importe, elles furent réellement plus productrices que les îles voisines, durant les temps anciens, et elles ne sont encore aujourd'hui, en raison de leur sol fertile, de leur bonne exposition et de la douceur de leur climat, elles méritent vraiment ce surnom. Makareus roi de Lesbos y établit des lois utiles à l'ordre public", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.82). Selon Hésiode, le déluge dévastateur de Deucalion correspond au début de l'"âge des héros", soit approximativement l'ère mycénienne des historiens modernes, qui se prolonge pendant environ quatre siècles, jusqu'à la guerre de Troie vers -1200. Hésiode juge positivement cette période, car les hommes s'y organisent autour de héros explorateurs et constructeurs ("Quand la terre eut recouvert cette génération [de bronze], Zeus fils de Kronos en créa une quatrième sur le sol fertile, plus juste et plus brave, celle des héros considérés comme des demi-dieux, qui nous a précédés dans le monde immense. Ils moururent tous dans des dures guerres ou dans des fatals combats. Les uns périrent devant Thèbes aux sept portes, sur la terre de Cadmos, à se disputer les troupeaux d'Œdipe. Les autres franchirent la vaste mer sur leurs navires jusqu'à Troie afin de batailler pour Hélène aux beaux cheveux, où la mort les enveloppa de ses ombres. Le puissant Zeus fils de Kronos leur donna une nourriture et une demeure différentes de celles des autres hommes, il les installa à l'extrémité du monde. Les héros heureux, libérés de toute inquiétude, habitent les îles des Bienheureux au-delà de l'Océan aux gouffres profonds, où trois fois par an la terre féconde leur prodigue des fruits brillants et délicieux", Hésiode, Les travaux et les jours 156-173). Hésiode qualifie la période postérieure à la guerre de Troie comme "âge de fer", elle dure encore au moment où il vit, au VIIIème siècle av. J.-C., et il se lamente de la connaître car la justice et la vertu n'y sont plus respectées ("Quelle épreuve pour moi, par les dieux ! de vivre au milieu de la cinquième génération, de n'être pas mort avant, de n'être pas né après ! Cette génération actuelle est celle de fer. Les hommes ne cessent de travailler et souffrir durant le jour, et de se corrompre durant la nuit par les dures angoisses envoyées par les dieux. Quelquefois des biens se mêlent aux maux. Mais Zeus mine cette génération de mortels en lui donnant des cheveux blancs peu après la naissance. Le père ne ressemble plus au fils, ni le fils au père, ni l'hôte à l'hôte, ni l'ami à l'ami, ni le frère au frère comme naguère. Les jeunes méprisent les vieux, les cruels ! ils les accablent d'injures sans craindre la punition divine, ils ne nourrissent plus ceux qui les ont nourris, en prônant la force. L'un ravage la cité de l'autre, le serment n'est plus respecté, ni la justice, ni la vertu, on préfère honorer le criminel, l'hybris. Le juste vaut le fort et le vice. Le lâche attaque le brave avec des mots tortueux appuyés par le parjure. Aux misérables s'attachent la jalousie qui calomnie et jouit du mal. Quittant la vaste terre pour l'Olympe, cachant leurs corps gracieux dans des voiles blancs, Aidos ["A„dèj/l'Honneur", la conscience individuelle, la pudeur] et Némésis ["Nšmesij/l'Opinion", la conscience publique, le qu'en-dira-t-on] sont montés vers les immortels en abandonnant les hommes, restés seuls dans des souffrances terribles et inguérissables", Hésiode, Les travaux et les jours 174-201). Ovide découpe l'Histoire de façon différente, il enchaîne directement l'âge de bronze et l'âge de fer au XVIème siècle av. J.-C., dépravés, dégénérés, dominés par des êtres malfaisants qu'Ovide appelle "Géants", jusqu'au règne de Lycaon contemporain du déluge de Deucalion ("Aux deux premiers âges [âge d'or sous le règne de Saturne/Kronos, puis âge d'argent au début du règne de Jupiter/Zeus] succéda l'âge de bronze. Les hommes devenus féroces respiraient la guerre, mais n'étaient pas encore complètement corrompus. L'âge de fer fut le dernier. Avec lui, tous les crimes se répandirent sur la terre. La pudeur, la vérité, la bonne foi disparurent. A leur place dominèrent l'artifice, la trahison, la violence, et la coupable soif de posséder. Le nautonier confia ses voiles à des vents incertains, et les vieux arbres descendirent des montagnes pour flotter sur des mers inconnues. La terre, propriété de tous comme l'air et la lumière, devint la propriété du laboureur arrogant qui délimita des longs champs de culture. Les hommes ne se contentèrent plus des moissons et des fruits donnés par la terre, ils osèrent pénétrer dans son sein, et aggravèrent leurs maux par les trésors qu'elle recelait dans les corridors près du Tartare. Le fer criminel et l'or pernicieux, outils de Discorde, ensanglantèrent leurs mains et fit retentir les armes. Les rapines se généralisèrent, l'hospitalité ne fut plus un asile sacré, le beau-père se mit à redouter son gendre, les frères se désunirent, l'époux menaça les jours de son épouse et inversement, des marâtres cruelles mixèrent d'horribles poisons, le fils hâta les derniers jours de son père. La piété languit, méprisée, et Astrée [avatar de Dikè, déesse de la Justice] quitta finalement la terre souillée de sang, abandonnée par les dieux. Le ciel ne fut pas épargné par les noirs attentats que fomentaient les mortels sur la terre. On raconte que les Géants osèrent déclarer la guerre aux dieux, ils amassèrent des montagnes les unes sur les autres jusqu'aux étoiles, mais le puissant Jupiter [Zeus] frappa l'Olympe de son foudre, il renversa le Pélion sur l'Ossa [montagnes de Thessalie] et les ensevelit sous leurs masses écroulées. On dit encore que la terre arrosée du sang de ses enfants en rassembla les restes et en forma des nouveaux hommes qui conservèrent les traits de la race impie, méprisant les dieux, délabrés par le meurtre, ivres de violence comme leurs sanglants géniteurs. Du haut de son trône, Jupiter voyait les crimes sur la terre et gémissait. Quand Lycaon lui servit son horrible festin, il fut transporté d'une colère digne du souverain des dieux. Il convoqua ceux-ci", Ovide, Métamorphoses I.125-127 ; pour l'anecdote, un scholiaste anonyme commente le vers 479 livre VIII de l'Iliade, relatif à "la terre et la mer où sont [enfermés] Japet et Kronos", en disant que des Géants partisans de Kronos se sont révoltés mais que Zeus les a vaincus et ensevelis sous le mont de l'ancien seigneur autochtone Ophion, c'est-à-dire le mont Olympe), et il voit la période postérieure, qui dure jusqu'au moment où il vit, au tout début du Ier siècle, comme un âge dur mais fécond, tirant précisément sa dureté et sa fécondité des épreuves et des bouleversements subis jadis pendant les âges d'argent et de fer ("Cette épreuve douloureuse [le déluge de Deucalion] endurcit nos gènes, et atteste concrètement de l'origine de notre nation. D'elle-même la terre enfanta d'autres animaux de toutes formes. Quand le soleil eut échauffé le limon qui la recouvrait, quand ses feux eurent fermenté la fange des marais, les semences fécondes nourries par le sol vivifiant comme le sein d'une mère se développèrent et revêtirent chacune une apparence particulière", Ovide, Métamorphoses I.414-421). Durant cette période instable de quelques décennies entre la fin de l'éruption de Santorin et le déluge de Deucalion, Zeus s'impose avec des maladresses et des naïvetés. Il épouse en premières noces Métis, qui a libéré ses frères et sœurs des prisons de Kronos - ou, selon la mythologie, qui a obligé Kronos à recracher ses frères et sœurs ! -, mais, comme il redoute que sa progéniture finisse par le détrôner comme lui-même a détrôné son père Kronos, et comme Kronos auparavant a détrôné son grand-père Ouranos, il la garde près de lui pour la surveiller, pour l'empêcher d'accoucher (Métis étant rusée, elle risque d'engendrer des enfants aussi rusés qu'elle, qui se dresseront peut-être contre leur père). Quand Métis devient enceinte, il la séquestre - la mythologie dit qu'il l'avale, reproduisant ainsi la mauvaise habitude de son père Kronos ! ("Zeus le roi des dieux prit pour première épouse Métis, la plus savante parmi les mortels et les immortels. Mais quand elle fut sur le point d'accoucher d'Athéna aux yeux pers, Zeus la trompa par des mots caressants et l'avala, suivant le conseil de Gaia et d'Ouranos étoilé. Ceux-ci désiraient que le trône demeurât toujours à Zeus et non à un autre dieu immortel, or le sort voulait qu'elle enfantât d'une progéniture savante, d'abord de la vierge Tritogénie ["Tritogšneia", littéralement "née près du [fleuve] Triton", surnom d'Athéna] aux yeux pers, égale à son père en fougue et en prudence, ensuite d'un fils vigoureux futur roi des hommes et des dieux. Zeus conjura ce sort en avalant la déesse, il put ainsi connaître ses projets avantageux ou néfastes", Hésiode, Théogonie 886-900) -, Métis met au monde une fille, Athéna, qui reste prisonnière de son père, jusqu'au jour où Prométhée ou Héphaistos la libère de sa prison - la mythologie dit que Prométhée ou Héphaistos fend le crâne de Zeus, et Athéna sort tout habillée et en armes du crâne de son père ! ("De sa tête [à Zeus] sortit Tritogénie aux yeux pers, provocatrice de conflits, infatigable conductrice d'armées, toujours avide de dignités, de guerres, de rivalités", Hésiode, Théogonie 924-926 ; "Zeus voulut jouir de Métis, qui prit toutes les formes pour tenter de se soustraire à ses assauts. Enceinte, elle lui prédit que la fille qu'elle s'apprêtait à mettre au monde aurait un fils qui deviendrait le maître du ciel. Pour parer à cette prophétie, Zeus l'avala avant l'accouchement. Quand le terme arriva, il laissa Prométhée, ou Héphaistos selon certains, lui fendre la tête, près du lac Tritonide : Athéna en sortit en armes", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 3.6 ; Pindare, Septième olympique 65-69, dit qu'Athéna s'est élancée hors du crâne de Zeus "avec l'aide de l'industrieux Héphaistos", mais Euripide, Ion 455-457, dit de son côté qu'elle s'en est extraite "avec l'aide du Titan Prométhée"). Cette affaire n'est pas claire. Nous avons vu qu'Athéna est très antérieure à Zeus puisqu'elle est la version sémitique puis grecque de la déesse primordiale égyptienne Neith, les Sémites hyksos lui ont donné pour père Addu le dieu sémitique de l'Orage alias Poséidon ("maître/pÒsij Addu") chez les Grecs, les Sémites atlantes disent qu'elle a grandi chez eux près du lac Tritonide/chott el-Jérid (selon Pausanias, Description de la Grèce, I, 14.6 précité). Nous avons vu aussi qu'après sa victoire sur Kronos, Zeus tend à minimiser l'importance des traditions sémitiques minoennes, ainsi il se substitue à Poséidon/Addu comme père d'Athéna, en reprenant son attitude et ses attributs (bras droit levé tenant un foudre, bras et jambe gauches en avant en position de tirer). Quel rôle réel joue donc la rusée Métis entre Zeus et Athéna ? A-t-elle réellement été enceinte, a-t-elle réellement accouchée d'une fille qu'elle a assimilée malignement à la sémitique Athéna/Neith ? ou a-t-elle simulé une grossesse, a-t-elle été l'instigatrice de ce stratagème de substitution entre Poséidon/Addu et Zeus comme père d'Athéna/Neith ? Le même flou s'observe dans l'affaire Héphaistos. Nous avons vu qu'Héphaistos est très antérieur à Zeus puisqu'il est la version sémitique puis grecque du dieu primordial égyptien Ptah, les Sémites levantins l'ont transformé en Pateikos pour orner la proue de leurs navires, les Sémites courètes lui ont dédié leur cité homonyme Phaistos sur l'île de Crète. Après sa victoire sur Kronos et l'éviction de Métis, Zeus épouse en secondes noces Héra. Celle-ci, possible version sémitique puis grecque de l'antique déesse égyptienne Isis (selon Porphyre de Tyr, Sur l'abstinence de consommation de chair animale II.55 précité, et selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.13 précité), confrontée aux multiples adultères de Zeus, décide de se venger en faisant un enfant seule, ou avec un amant de passage selon les versions, elle accouche ainsi d'Héphaistos ("Finalement [Zeus] épousa la féconde Héra. […] Héra, sans s'unir au dieu, par colère et défi contre lui, conçut seule l'illustre Héphaistos, le plus industrieux de tous les petits-fils d'Ouranos", Hésiode, Théogonie 921-929 ; un scholiaste anonyme, pour expliquer le vers 339 livre XIV de l'Iliade où Héra parle à Zeus en disant : "ton fils Héphaistos", raconte qu'Héra était déjà enceinte avant son mariage, et qu'après le mariage elle a prétendu que l'enfant n'avait pas de père pour essayer d'atténuer sa faute ; "Héra engendra Héphaistos seule, mais Homère dit qu'elle le conçut avec Zeus [allusion à Iliade XIV.339 précité, et à Iliade I.578-579 où Héphaistos parle de Zeus en disant : "mon père"]", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 3.5 ; Cinéthon quant à lui avance une généalogie inexploitable pour l'historien, en disant qu'Héphaistos est fils de Talos, le robot gardien de l'île de Crète ou le principal capitaine de Minos II à la fin de l'ère mycénienne comme nous le verrons dans notre prochain paragraphe, et que Talos est fils de Crès, personnage mythique qui aurait donné son nom à la Crète ["Dans ses vers, Cinéthon dit que Rhadamanthe était fils d'Héphaistos fils de Talos, lui-même fils de Crès. Les discours des Grecs fluctuent beaucoup entre eux, notamment sur la généalogie", Pausanias, Description de la Grèce VIII, 53.5]). L'enfant, fruit d'une vengeance davantage que de l'amour, né boiteux, est repoussé par sa mère peu après l'accouchement, il est recueilli et élevé on-ne-sait-où par deux nymphes d'origine incertaine, la néréide Thétis (future mère d'Achille, donc possiblement Indoeuropéenne) et l'océanide Eurynomé ("Ecoutez-moi, dieux et déesses, le formidable Jupiter est le premier à me mépriser après m'avoir choisie entre toutes pour être sa vertueuse épouse. Loin de moi il a conçu l'orgueilleuse Pallas, déesse célèbre et fortunée, tandis que moi j'ai conçu mon fils, le boiteux Héphaistos, le plus faible de tous les dieux, le jour même de l'accouchement je l'ai attrapé et jeté dans la vaste mer mais la Néréide Thétis aux pieds d'argent l'a recueilli et nourri avec ses sœurs", Hymne homérique à Apollon 311-320 ; "[Thétis] m'a sauvé [c'est Héphaistos qui parle] à l'époque où j'avais mal, tombé au loin à cause d'une mère à face de chienne [Héra] qui voulait me cacher parce que j'étais boiteux. J'aurais beaucoup souffert si Eurynomé et Thétis ne m'avaient pas recueilli, Eurynomé fille d'Océan qui revient toujours à sa source. Près d'elles, pendant neuf ans, j'ai forgé des œuvres d'art, des broches, des bracelets souples, des rosettes, des colliers, au fond d'une grotte entourée par le flot immense d'Océan grondant et écumant. Personne ne savait, ni dieu ni homme, Thétis et Eurynomé seules savaient, après m'avoir sauvé la vie", Iliade XVIII.395-405). Héphaistos devenu adulte, orfèvre réputé, ne se montre pas rancunier envers Héra puisqu'il tente de la défendre quand celle-ci, dans un contexte non précisé, est malmenée par Zeus, Héphaistos est rapidement battu et chassé par Zeus, il doit se réfugier sur l'île de Lemnos, protégé par des Thraces sintiens ("Subis l'épreuve, ma mère, résigne-toi au pire [c'est Héphaitos qui parle à Héra]. Je ne supporte pas de te voir recevoir des coups, toi que j'aime, mais je ne peux pas t'être utile, en dépit de ma douleur. Lutter contre [Zeus] le dieu de l'Olympe est difficile. J'ai déjà essayé de t'en protéger : il m'a pris par le pied et lancé loin du sol sacré, j'ai vogué tout le jour, le soir je suis tombé à Lemnos, épuisé, où des Sintiens m'ont recueilli juste après mon échouage", Iliade I.584-594). Les Minoens vainqueurs de Kronos et leurs alliés achéens indoeuropéens ont-ils voulu récupérer la figure d'Héphaistos et de sa mère Héra en estompant leur ancienneté, leur nature sémitique, et même égyptienne avant d'être sémitique, en la rattachant avec plus ou moins de cohérence à la figure de Zeus hellénisé ? C'est très possible. Ce phénomène s'observe après toutes les grandes crises historiques : le vainqueur veut capter l'héritage du vaincu, si besoin en déformant le passé, en cachant tels aspects qui l'indisposent et en surexposant ou en inventant tels autres aspects qui l'arrangent. Le conflit entre Zeus et Prométhée, daté de la même époque, entre la fin de la guerre contre Kronos et le déluge de Deucalion au XVIème av. J.-C., est moins problématique. La famille de Prométhée est l'une des rares parmi les Titans à ne pas avoir été précipitée dans le Tartare après l'éruption de Santorin. Selon Hésiode et pseudo-Apollodore, Prométhée est fils de Japet, le frère de Kronos, autrement dit Prométhée et Zeus sont cousins. Zeus a peut-être une raison personnelle de détester Prométhée puisque, selon un scholiaste anonyme en marge des vers 295-296 de l'Iliade ("un amour identique à celui qui les avaient unis [Zeus et Héra, du temps de leur jeunesse] dans le même lit à l'insu de leur parents") citant un Euphorion (Europhion d'Athènes, fils d'Eschyle et tragédien comme son père ? ou Euphorion de Chalcis, conservateur de la bibliothèque d'Antioche sous le règne d'Antiochos III au tournant des IIIème et IIème av. J.-C. ?), Héra dans sa jeunesse a été violée par le Géant Eurymédon, Prométhée est né de cette union, Zeus a appris ce viol après son mariage avec Héra, il a jeté Eurymédon dans le Tartare et a cherché à se débarrasser de Prométhée à la première occasion. En tous cas la raison officielle, la raison politique de l'hostilité de Zeus à l'encontre de Prométhée est bien le lien familial de ce dernier au roi déchu Kronos : Prométhée est, si Zeus meurt ou est chassé du trône, un prétendant légitime à la royauté, comme neveu de Kronos ou comme bâtard de la reine Héra. Prométhée a deux frères qui nous intéressent : son aîné Atlas dont nous avons déjà parlé dans notre paragraphe précédent, fondateur de la colonie sémitique à laquelle il a donné son nom - les Atlantes - entre la corne d'Hespéros/golfe de Gabès et le lac Tritonide/chott el-Jérid (sur le bord oriental de la chaîne homonyme : l'Atlas) à l'ère minoenne, et son cadet Epiméthée ("Japet épousa la jeune océanide Klyménè aux belles chevilles [selon Eschyle, Prométhée enchaîné 209, la mère de Prométhée est Thétis, et non pas Klyménè], il monta avec elle dans le lit nuptial, et elle enfanta d'un fils, le violent Atlas, puis de l'orgueilleux Ménoitios, de l'adroit et astucieux Prométhée et de l'imprudent Epiméthée", Hésiode, Théogonie 507-511 ; "De Japet et d'Asia naquirent Atlas qui porte le ciel sur ses épaules, Prométhée, Epiméthée et Ménoitios", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 2.3). Les deux frères portent des noms reflétant leur caractère : "Prométhée/PromhqeÚj" dérive de "màqoj/discours, déclaration" précédé du préfixe "prÒ/avant", soit littéralement "qui parle avant, qui anticipe" ou "le Prévoyant", "Epiméthée/EpimhqeÚj" quant à lui dérive du même mot précédé du préfixe "™p…/après", soit littéralement "qui parle après, qui pense en retard, qui subit" ou "le Sot, le Neuneu". Lors d'un banquet dans la cité de Mèkonè, peut-être ancien nom de la cité de Sicyone, Prométhée ridiculise Zeus en divisant les parts d'un bœuf. D'un côté il place les organes, parties comestibles, qu'il dissimule sous des emballages de chairs ternes, de l'autre côté il place les os, parties non comestibles, qu'il valorise en les barbouillant de graisse brillante, et il demande à Zeus de choisir. Naturellement Zeus se tourne vers les parties brillantes, et laisse les parties ternes aux habitants de Mèkonè. Et avoir après avoir cuit les deux parts au feu il comprend vite la supercherie, les habitants se régalent en mangeant les morceaux gras, tandis que lui-même n'a que des os à ronger. Furieux, Zeus retire le feu au peuple, plus précisément il cesse de lancer des éclairs qui incendient les arbres et offre du feu aux hommes (la mythologie grecque rapportée par Hésiode et ses pairs ignore les techniques préhistoriques pour allumer un feu, en cognant deux silex ou en exposant des feuilles mortes aux rayons du soleil : "Ainsi [via la condamnation de Prométhée par Zeus, puis la libération de Prométhée par Héraclès, que nous raconterons juste après] fut résolue la querelle entre les dieux et les hommes à Mèkonè. Prométhée, afin de tromper le jugement de Zeus, s'était empressé de diviser les parts d'un énorme bœuf, qu'il avait exposées à tous : d'un côté il avait dissimulé les chairs et les entrailles les plus grasses sous le ventre de la victime, de l'autre côté il avait entassé perfidement les os nus de la bête en les recouvrant d'une graisse luisante. Le père des dieux et des hommes lui avait dit : ‟Fils de Japet, le meilleur seigneur du monde, ô dégénéré, tu as réalisé des parts bien inégales !”. Ainsi avait maugréé Zeus aux justes avis. L'astucieux Prométhée avait répondu, en riant intérieurement de sa ruse : ‟Zeus glorieux, le plus grand parmi les immortels, choisis entre ces deux parts celle que ton cœur préfère”. Ainsi avait-il parlé, plein de fourberie. Zeus aux justes avis avait deviné la ruse, et avait formé contre les hommes une terrible vengeance qui se concrétisa plus tard. De ses deux mains il avait écarté la graisse luisante, et il était devenu furieux, la colère emplissant toute son âme, quand il avait découvert les os nus de l'animal. […] Indigné, Zeus l'assembleur de nuages avait dit : ‟Fils de Japet, le plus fourbe rusé du monde, ô dégénéré, tu es toujours aussi perfide !”. Ainsi s'était emporté Zeus aux justes avis. A cause de cette tromperie de Prométhée, il avait alors cessé de diriger sur les frênes le feu infatigable qu'utilisaient les hommes vivant sur la terre", Hésiode, Théogonie 535-564 ; "Mais Zeus a dissimulé la vie [dans le sens littéral : "Zeus a rendu le monde plus sombre", et dans le sens figuré : "Zeus a rendu inintelligible le sens de l'existence"] le jour où, irrité d'avoir été trompé par Prométhée aux pensées fourbes, il fomenta un triste projet contre les hommes. Il les priva de feu", Hésiode, Les travaux et les jours 47-50). Mais Prométhée a conservé une petite flamme qu'il donne aux hommes, que ceux-ci entretiennent et multiplient, contournant la punition de Zeus. La fureur de Zeus est décuplée. Sa première vengeance ayant échoué, il en invente une seconde, dont Epiméthée sera l'instrument involontaire. Avec la complicité d'Héphaistos et d'Athéna, il crée une femme parée de tous les attraits, appelée "Pandore" ("Mais le rusé [Prométhée] fils de Japet avait dérobé à la pointe d'une férule une étincelle du feu infatigable. Zeus le tonnant avait été profondément affecté et s'était encore irrité en apercevant la brillante étincelle du feu parmi les hommes, aussitôt il avait conçu un fléau contre eux. Suivant la volonté du fils de Kronos, l'illustre Amphigyèeis ["Amfigu»eij/le Boiteux", surnom d'Héphaistos] avait formé avec de la terre un être semblable à une vierge. Athéna aux yeux pers lui avait noué une ceinture après l'avoir vêtue d'une robe blanche, elle avait posé sur son front un voile aux mille broderies admirables à voir, et sur sa tête elle avait mis un diadème en or qu'Amphigyèeis, pour plaire à son père Zeus, avait forgé de ses mains, portant d'innombrables ciselures admirables à voir, figurant les animaux nourris par la terre et les mers, brillantes merveilles paraissant vivantes", Hésiode, Théogonie 565-584 ; "Le vigoureux fils de Japet [Prométhée] déroba [le feu] de Zeus à la pointe d'une férule, déjouant la vigilance du dieu lanceur d'éclairs. Zeus en colère rassembla les nuées et dit : ‟Fils de Japet, qui sait mieux que les autres, tu ris d'avoir volé mon feu et de m'avoir trompé, mais tu as provoqué ton propre malheur et celui des hommes futurs, à la place du feu je leur enverrai un mal au cœur qui les poussera complaisamment à entourer d'amour leurs propres maux”. Il dit, et il éclata de rire, père des hommes et des dieux. Il ordonna à l'illustre Héphaistos de tremper d'eau un peu de terre sans tarder, d'y donner la voix et les forces d'un être humain, et de lui donner la forme d'un beau corps aimable de vierge semblable aux déesses immortelles. Athéna lui apprit ses tâches, tissu aux mille couleurs. Sur son front, Aphrodite d'Or répandit la grâce, le douloureux désir, les soucis qui brisent les membres. Un esprit impudent et un cœur artificieux, sur ordre de Zeus, lui furent intégrés par le messager Hermès tueur d'Argos. Il dit, et tous obéissent au seigneur Zeus fils de Kronos. L'illustre Amphigyèeis [surnom d'Héphaistos] modela rapidement dans la terre la forme d'une chaste vierge, selon la volonté du fils de Kronos. La déesse Athéna aux yeux pers la vêtit et noua sa ceinture. Autour de son cou les Charites et la vénérable Peitho ["Peiqè/Persuasion"] mirent des colliers d'or, autour d'elle les Heures aux beaux cheveux disposèrent des guirlandes de fleurs printanières. Athéna Pallas ajusta toute sa parure sur son corps. En elle le messager [Hermès] tueur d'Argos créa duperies, mots trompeurs, sentiments apparents, selon la volonté de Zeus aux lourds grondements. Puis le héraut des dieux insuffla la parole à cette femme, et l'appela ‟Pandore” parce qu'elle fut ‟donnée” ["dîron/don, cadeau, offrande"] par ‟tous” ["p©n"] les habitants de l'Olympe aux hommes mangeurs de pain pour leur malheur", Hésiode, Les travaux et les jours 50-82), qu'il envoie à Epiméthée via Hermès. Le benêt Epiméthée tombe sous le charme de Pandore, et tous les hommes avec lui, pour leur malheur, car Pandore est une coquette capricieuse, versatile, allumeuse, perpétuellement insatisfaite et perpétuellement exigeante, bref une chieuse, qui les tourne en bourriques. Les mythologues tireront de cet épisode la "boite de Pandore", image de la femme castratrice qui suscite toujours l'espoir d'accorder ses faveurs en abusant de ses appâts, et qui ne les accorde jamais ("Après avoir réalisé cette méchanceté si belle [Pandore], [Zeus] l'avait amenée dans l'assemblée des dieux et des hommes, parée par sa puissante fille aux yeux pers [Athéna]. Les dieux et les hommes avaient été émerveillés devant ce piège destiné aux seconds, calamité pernicieuse pour les hommes, génitrice de la race des femmes féminines, qui visent non pas la pauvreté ordinaire mais les parures", Hésiode, Théogonie 585-593 ; "L'imprudent Epiméthée […] provoqua le malheur des hommes mangeurs de pain quand il reçut le premier sous son toit [Pandore] la vierge formée par Zeus", Hésiode, Théogonie 511-514 ; "Après avoir creusé son piège insondable et sans issue, le père des dieux [Zeus] ordonna que le cadeau divin [Pandore] fût apporté à Epiméthée par l'illustre [Hermès] tueur d'Argos, rapide messager des dieux. Epiméthée oublia que Prométhée lui avait dit de ne jamais accepter un don de Zeus Olympien, de le retourner à leur envoyeur afin d'épargner un malheur aux mortels. Il accepta le cadeau fatal, et il comprit. Les hommes sur la terre vivaient jusqu'alors préservés des peines, de la fatigue, des maladies qui apportent la mort. Mais la femme souleva de ses mains le large couvercle d'une boite et les dispersa dans le monde, causant des tristes soucis aux hommes. Elpis ["Elp…j/Espoir"] resta à l'intérieur de l'infrangible prison, sans passer les bords de la boite, sans s'envoler au-dehors, car Pandore replaça promptement le couvercle, suivant la volonté de Zeus assembleur de nuées, porteur de l'égide. Les maux innombrables errèrent parmi les hommes, la terre en fut pleine, la mer en fut pleine, les maladies de jour ou de nuit visitèrent les mortels et leur apportèrent la souffrance, en silence car privées de parole par le prudent Zeus. Tant les desseins de Zeus sont incontournables !", Hésiode, Les travaux et les jours 82-105). Le récit sur Pandore, qui donne de la femme une image très négative, critique les communautés matriarcales auxquelles les Sémites minoens se sont adaptés en Afrique du nord, depuis les héritières de Neith en Libye jusqu'aux Amazones et Gorgones près du lac Tritonide/chott el-Jérid, et plus généralement la place importante des femmes dans la société minoenne, bien attestée par les fresques de Cnossos et de Santorin, et par les sceaux, les décorations de vaisselles ou de sarcophages découverts sur les sites archéologiques minoens, en opposition à l'idéal viril, hétérosexuel ou homosexuel, du monde achéen indoeuropéen qui se développe à partir de -1600 sur le territoire de la future Grèce (on constate aussi l'émergence de cet idéal viril indoeuropéen dans l'abaissement de la déesse sémitique Aphrodite, mutation des testicules d'Ouranos dans le mythe originel levantin/minoen rapporté par Hésiode, Théogonie 188-200 précité, qui devient une simple fille issue d'une mystérieuse déesse "Dioné" dans la version achéenne rapportée par Homère Iliade V.370-371, femme agissante hier transformée en fille jugée seulement pour sa beauté physique aujourd'hui, qui deviendra femelle fatale lors du jugement de Pâris préludant à la guerre de Troie à la fin de l'ère mycénienne). Zeus arrête Prométhée et le condamne à être attaché on-ne-sait-où, à l'écart des voies empruntées par les hommes, dans un coin perdu d'Anatolie, à la merci des vautours. Les charognards déchiquetteront le supplicié, qui mettra un temps infini à mourir, d'où l'image mythologique de Prométhée attaqué par un aigle - plus prestigieux qu'un vautour ! - lui dévorant le foie, qui se régénère chaque jour parce que Prométhée est immortel et ne peut pas mourir. A la fin de l'ère hellénistique, trois cents ans plus tard, au début du XIIIème siècle av. J.-C., Héraclès durant son séjour en Anatolie croisera un homme condamné au même supplice, attaché à un rocher à la merci des charognards, Héraclès le délivrera, ses biographes pour grandir ses exploits assimileront ce condamné à Prométhée, et sa délivrance à la levée de la peine infligée par Zeus à Prométhée trois cents ans plus tôt ("Zeus attacha le rusé Prométhée de chaînes inextricables à mi-hauteur d'une colonne, et il lâcha contre lui un aigle aux larges ailes : l'aigle mangeait son foie immortel, et chaque nuit le foie immortel se reformait, identique à celui mangé durant la journée par l'oiseau aux larges ailes. Le courageux fils d'Alcmène aux belles chevilles, Héraclès, tua l'aigle et délivra le fils de Japet du cruel fléau, avec le consentement de Zeus Olympien au puissant trône qui voulait que la gloire du Thébain Héraclès se répandit sur toute la terre nourricière : dans cette optique, afin d'honorer son illustre fils, ce dernier abjura son ancienne colère contre Prométhée, ancien rival du bouillant fils de Kronos", Hésiode, Théogonie 521-534).


En 1983, le latiniste hellénophile français Paul Veyne écrit un essai intitulé Les Grecs croyaient-ils dans leurs dieux ? Le contenu plus ou moins onaniste de ce petit livre, prétexte à diverses considérations sur le rapport entre Histoire et mythologie, dans la parfaite lignée de l'idéologie déconstructiviste occidentale soixante-huitarde, ne nous intéresse pas ici. Paul Veyne a néanmoins le mérite d'avoir posé une excellente question, qui contredit la majorité des ouvrages que les hellénistes académiques continuent de rabâcher en l'an 2000 à destination du grand public, conjecturant la soi-disant piété des Grecs à travers des commentaires poussifs sur leurs cérémonies religieuses et sur leurs statues de dieux et déesses. Comment en effet les Grecs ont-ils pu inventer l'astronomie et la politique et l'économie et autres sciences dont le nom grec prouve indiscutablement l'origine grecque, et en même temps continuer d'invoquer Aphrodite, Dionysos, Hadès ou Apollon ? Inversement, comment les grecs invoquant Aphrodite, Dionysos, Hadès ou Apollon ont-ils pu inventer l'astronomie, la politique, l'économie et autres ? Confrontés à ces deux questions auxquelles ils sont incapables de répondre, les hellénistes en question ont inventé le concept d'un "miracle grec" ayant apporté on-ne-sait-comment un esprit scientifique à des Grecs superstitieux et peu intelligents, et transformé des bigots farouches en athées ouverts au monde… tout en demeurant des bigots farouches ! Disons clairement que nous rejetons ce blablabla absurde qui témoigne autant de l'approximation de ces hellénistes que de leur inaptitude à raisonner de manière simple. L'approximation, d'abord. Quand ils parlent d'Aphrodite, Dionysos, Hadès ou Apollon, ces hellénistes suggèrent à leur auditoire et à leur lectorat, volontairement ou involontairement, que ces divinités étaient considérées par les anciens Grecs comme aujourd'hui Yahvé par les juifs ou Allah par les musulmans, objets de rituels et prières strictement codés dans un cadre étroitement cérémoniel à vocation exclusivement transcendante. Mais les textes grecs antiques ne raccordent nullement avec cette définition. Les textes anciens prouvent que les Grecs utilisaient les noms des dieux pour exprimer, appréhender, matérialiser des notions difficiles à expliquer. Par exemple, si on demande à un interlocuteur : "C'est quoi, la beauté ?", celui-ci aura beaucoup de mal à répondre, parce que la beauté ne peut pas être qualifiée de manière exacte (pour certains elle a l'image d'une brune aux yeux verts, pour d'autres, d'une blonde aux yeux bleus) ni quantifiée (on ne peut pas montrer un kilo de beauté, ni un mètre de beauté !), sa réponse sera nécessairement discutable, sujette à controverses, source de mésententes, de conflits interminables et insolubles. En revanche, si on prononce le nom "Aphrodite" dans un discours, le même interlocuteur saura immédiatement qu'on parle de beauté, parce que le nom "Aphrodite" est associé à la notion de beauté, peu importe la qualité et la quantité de cette beauté, le mot permet une connexion tacite et spontanée à la chose chez tous les émetteurs et récepteurs du discours. Même constat si on demande à un interlocuteur : "C'est quoi, l'ivresse, l'excès, la démesure, l'hybris ?", l'interlocuteur aura beaucoup de mal à répondre parce que l'ivresse peut prendre toutes formes et toutes proportions, en revanche si on dit : "Dionysos" tout le monde voit implicitement de quoi on parle, parce que le nom "Dionysos" est associé à la notion d'ivresse, peu importe la nature et les dimensions de cette ivresse. Si on demande : "C'est quoi, la mort ?", difficile de répondre encore, mais si on dit : "Hadès", on comprend aussitôt de quoi on parle. Si on demande : "C'est quoi, la rigueur, la droiture ?", toujours difficile de répondre, mais si on dit : "Apollon", on comprend illico le propos, peu importe les spécificités et les contingences que chacun confère aux notions de rigueur et de droiture. L'invocation des Grecs à Aphrodite, Dionysos, Hadès ou Apollon ne signifie pas que les Grecs croient dans des dieux appelés "Aphrodite", "Dionysos", "Hadès" ou "Apollon" se caractérisant par leur prédisposition à la beauté, à l'ivresse, à la mort ou à la droiture, mais au contraire que les Grecs s'interrogent sur ce que cachent ces représentations divines, sur les notions véhiculées par les noms "Aphrodite", "Dionysos", "Hadès" ou "Apollon" qu'ils continuent à employer faute de mieux, jusqu'au jour où la science aura enfin décortiqué, explicité, équationné ces notions. Pour reprendre la question de Paul Veyne, les Grecs ne croient pas dans leurs dieux, mais ils continuent pour désigner tel comportement humain d'utiliser le nom de tel dieu ayant eu un comportement similaire, ils continuent pour désigner tel phénomène d'utiliser le nom de tel autre dieu ayant provoqué ou subi un phénomène similaire. Les Grecs ont lexicalisé les dieux. Et ils ont laïcisé, rendu de plus en plus pratiques et opérationnelles les cérémonies associées à ces dieux. Les processions à mystères et les incantations éthérées de jadis sont devenues peu à peu des procédures cohérentes et des théorèmes argumentés. Ainsi quand les textes évoquent un sanctuaire à Asclépios au Vème siècle av. J.-C., on ne doit pas imaginer un lieu où des suppliants ânonnent un texte figé en fermant les yeux et en balançant d'avant en arrière, ni un lieu où on accomplit des génuflexions cinq fois par jour, où on chante collégialement des mélodies simplistes ou sophistiquées à la gloire d'un dieu nommé "Asclépios", non, on doit simplement imaginer un équivalent à nos modernes hôpitaux, où on réalise des opérations chirurgicales et où on suit des protocoles médicamenteux afin de soigner les malades et de guérir les blessés. L'exemple du dieu Asclépios, dont le nom renvoie à la notion ambivalente de maladie et de guérison, aide à comprendre intuitivement la réalité historique sous-entendue dans les textes grecs anciens qui s'y réfèrent : l'emblème d'Asclépios est le serpent, animal aussi ambivalent puisque son venin est tantôt un poison tantôt un contrepoison, cet emblème a traversé les siècles, et il continue aujourd'hui d'apparaître sur les enseignes des pharmaciens, or les pharmacies se sont pas des établissements religieux, ce n'est pas parce qu'elles arborent l'image du serpent Asclépios (ou Esculape en latin) dans leurs vitrines et sur leurs factures, ni parce qu'on y récite les incantations du Vidal, ni parce qu'on y défile vers un homme affublé d'une blouse blanche et d'un stéthoscope manipulant des fioles et des seringues, ni parce qu'on s'y oblige rituellement à tousser et à répéter des "33", que les historiens dans deux mille ans devront conclure que les Français de l'an 2000 étaient des gens pieux vénérant le dieu Asclépios dans des lieux sacrés dédiés appelés "pharmacies". Même conclusion quand les textes évoquent un sanctuaire à Athéna : on ne doit pas s'imaginer un lieu similaire à une synagogue ou à une mosquée, où on vénère une déesse Athéna en obéissant à des codes verbaux ou comportementaux précis, non, on doit simplement imaginer un champ-de-Mars, ou une sainte-barbe, ou un arsenal, n'importe quel lieu militaire associé à la notion de guerre, que le nom "Athéna" recouvre, et que la statue d'Athéna casquée porteuse d'une lance et d'un bouclier matérialise. Quand on dit : "demeure d'Athéna" à un Grec du Vème siècle av. J.-C., il pense aussitôt à un bâtiment protégé renfermant des armes et des trophées où il croisera des soldats avec des épouses et des enfants de soldats, nullement à un espace magique où on peut entrer en contact avec un être surnaturel appelé "Athéna". Le raisonnement, ensuite. Les hellénistes académiques sont comme des gens confrontés à une pierre ronde en bas d'une colline : pour expliquer la présence de cette pierre, ils imaginent qu'elle est sortie de terre par une perturbation géologique qu'ils ne développent pas, ou qu'elle est montée depuis la vallée voisine par une loi métaphysique restant à découvrir, ou qu'elle s'est retrouvée là après la désintégration d'une météorite dont les autres fragments attendent d'être exhumés dans la région alentour, mais à aucun moment ils n'émettent l'hypothèse qu'elle a simplement roulé depuis le haut de la colline après un violent orage. Pour notre part, nous pensons que si les Grecs ont inventé le rationalisme scientifique, c'est simplement parce qu'ils étaient intellectuellement disposés à inventer le rationalisme scientifique. S'ils ont inventé l'astronomie, la politique, l'économie et autres, ce n'est pas par "miracle", comme le prétendent les hellénistes académiques, mais parce qu'ils n'étaient plus convaincus par les réponses apportées par les dieux aux questions qu'ils se posaient sur le monde, autrement dit ils ont remplacé les dieux par l'astronomie, la politique, l'économie et autres. On revient là à l'interrogation de Paul Veyne, en résolvant l'impasse dans laquelle sont embourbés les hellénistes académiques : les Grecs ne croyaient plus dans leurs dieux, c'est pour cette raison qu'ils ont inventé l'astronomie, la politique, l'économie et autres. Le rationalisme scientifique des Grecs ne découle pas d'un "miracle", mais d'un cheminement intellectuel, il est un palliatif consécutif au rejet des dieux. Le processus, qui s'est précisé au fil des siècles, avec des intermèdes, approximativement durant un millénaire entre l'éruption de Santorin vers -1600 et Thalès au tournant des VIIème et VI siècles av. J.-C., est aisément compréhensible. Quand on a la foi en un dieu, toutes les épreuves auxquelles on est exposé et tous les événements ordinaires ou extraordinaires qu'on observe trouvent leur raison dans ce dieu. Mais quand on n'a perdu la foi, quand on est sûr que les dieux n'existent pas, on est obligé d'explorer des nouvelles voies pour expliquer ces épreuves et ces événements. Dans le cas des Grecs, ces nouvelles voies ont été les analyses systématiques des phénomènes afin d'en percer les ressorts cachés, d'en établir les récurrences, d'en déduire des règles. Quand la lune passe devant le soleil, si on a la foi on dit : "Cela annonce que le dieu A favorisera la moisson, ou qu'il annulera les fiançailles du prince, ou qu'il aidera la cité à remporter la bataille contre la cité voisine, ou qu'il donnera la peste à la reine dans six mois !", mais si on est sûr que le dieu A n'existe pas on n'est pas satisfait par ce propos, alors on consulte les répétitions de ce phénomène dans les annales, on fabrique des maquettes figurant la lune et le soleil, qu'on déplace pour essayer de deviner leurs positions mensuelles, on calcule le temps et l'axe de rotation de l'un et l'autre pour prédire la prochaine éclipse (comme Thalès pour l'éclipse de soleil du 28 mai -585), et de cette façon on invente l'astronomie, en se débarrassant du dieu A mais en continuant à utiliser son nom pour désigner le domaine astronomique. Quand un parti perd les élections, si on a la foi on dit : "Ce parti a échoué parce que le dieu B a soutenu les principes de l'adversaire, qui sont plus respectueux du dieu B !", mais si on est sûr que le dieu B n'existe pas on n'est pas satisfait par ce propos, alors on étudie le profil des votants, le taux d'abstention, le déroulement de la campagne ayant précédé les élections, le ton des discours, on découvre que le résultat des urnes dépend des citoyens qui se sont mobilisés jusqu'au bureau de vote, des promesses que les militants leur ont adressées, des slogans répétés dans l'espace public, et de cette façon on invente la politique, en se débarrassant du dieu B mais en continuant à utiliser son nom pour désigner le domaine politique. Quand un homme devient riche, si on a la foi on dit : "Il est devenu riche parce que le dieu C veut le récompenser, parce qu'il s'est bien comporté, le dieu C punit les mauvais comportements en provoquant la pauvreté !", mais si on est sûr que le dieu C n'existe pas on n'est pas satisfait par ce propos, alors on étudie les ventes et les achats de cet homme, on constate les jeux de l'offre et de la demande, la fragilité des valeurs monétaires, la corrélation fluctuante entre les dettes et les productions de biens réels, et de cette façon on invente l'économie, en se débarrassant du dieu C mais en continuant à utiliser son nom pour désigner le domaine économique. Quand on est face à un malade, si on a la foi on dit : "Cet homme est malade parce que le dieu D veut le punir, parce que cet homme s'est mal comporté, le dieu D récompense les bons comportements en donnant la bonne santé !", mais si on est sûr que le dieu D n'existe pas on n'est pas satisfait par ce propos, alors on interroge le malade sur les endroits où il souffre, on compare avec les symptômes d'autres malades, on étudie les effets de tel exercice imposé ou de telle plante sur des cobayes pour les appliquer ensuite au malade, et de cette façon on invente les thérapeutes ("qerape…a"), les anatomistes ("¢natom»"), les chirurgiens ("ceigourg…a"), les apothicaires ("¢poq»kh"), que les Latins désigneront globalement comme "médecins/medicina", en se débarrassant du dieu D mais en continuant à utiliser son nom pour désigner le domaine médical. Quand un peuple perd la guerre, si on a la foi on dit : "Cette défaite militaire prouve que le dieu E n'a pas apprécié les agissements de ce peuple, il a encouragé l'adversaire pour signifier sa toute-puissance !", mais quand on est sûr que le dieu E n'existe pas on n'est pas satisfait par ce propos, alors on étudie les ressources stratégiques du peuple vainqueur par rapport à celles du peuple vaincu, les décisions prises par tel gouvernement, les mouvements de masse de telle catégorie sociale, les flux financiers entre tels affairistes, les opérations tactiques de tels capitaines, et de cette façon on invente l'Histoire (le mot "Histoire" est une lexicalisation du titre de l'œuvre d'Hérodote, "Istor…a", analysant les causes de la guerre entre les Grecs et les Perses du début du Vème siècle av. J.-C.), en se débarrassant du dieu E mais en continuant à utiliser son nom pour désigner le domaine historique. Et ainsi de suite. Encore une fois, il n'y a pas de "miracle", il y a seulement rejet des dieux. Ayant rejeté les dieux, on cherche des causes autres que divines pour expliquer les choses. Pour cela, on analyse les choses. Et ce faisant, on invente le "Logos/LÒgoj", d'où dérive la "logique" en français, la méthode, la déduction toujours hypothétique mais de mieux en mieux référencée, la théorisation jamais consensuelle mais étayée de plus en plus solidement, un ordre de plus en plus large au milieu du flou divin, comme une tache d'huile. La Théogonie d'Hésiode est l'une des étapes de ce développement séculaire, la plus ancienne conservée de ses traces écrites. Elle est importante dans le cadre de notre étude, pour son titre, pour son introduction et pour son sujet. Le mot "théogonie/qeogÒnia" est composé de "theos/qeÒj", soit "dieu", et "genos/gšnoj", soit "genèse, naissance, début, commencement, origine", la traduction littérale de "théogonie" est donc "la naissance des dieux", "le commencement des dieux", "l'origine des dieux". Hésiode, dans le titre de son œuvre, marque une première originalité par rapport aux œuvres plus anciennes des autres civilisations, sumérienne ou assyrienne/babylonienne ou levantine ou égyptienne : il ne raconte pas les aventures des dieux à une époque particulière de leur histoire personnelle, des dieux qui, par leur essence divine, vivent depuis toujours, ont vécu d'autres aventures avant cette époque, connues ou inconnues des hommes, il pose le principe que les dieux n'ont pas toujours existé puisqu'ils ont une origine, un début, une naissance, ils n'ont pas créé le monde, ils sont plus jeunes que le monde, ils sont apparus à une certaine époque de l'Histoire du monde, dans un contexte qu'Hésiode veut justement raconter dans son œuvre, ils ne sont pas nés immortels mais ils le sont devenus aux yeux des hommes à la suite d'on-ne-sait-quel événement, en somme ils ne sont pas des dieux puisqu'ils ont été précédés par d'autres êtres qui ont créé les conditions de leur naissance et les événements leur ayant permis d'apparaître a posteriori comme des dieux. C'est une première caractéristique de la civilisation grecque, et de la civilisation occidentale qui en est l'héritière, une caractéristique qui rejoint ce que nous avons dit précédemment sur l'athéisme des Grecs : l'Occidental est le seul individu sur la planète à déclarer que sa civilisation repose sur des non-dieux, que son Histoire ne date pas depuis toujours, que ses plus anciens ancêtres, Zeus et ses alliés achéens indoeuropéens, n'existaient pas à l'origine du monde, qu'ils sont apparus le jour où ils ont jugé que les dieux en place, Kronos et ses frères et sœurs, étaient des escrocs et qu'eux-mêmes et leurs partisans déicides étaient légitimes à s'y substituer. On n'imagine pas, par exemple, un écrivain juif rédiger un livre intitulé L'origine de Yahvé, ni un écrivain musulman rédiger un livre intitulé L'origine d'Allah, car ces titres sous-entendent que Yahvé et Allah ont une origine, un commencement, donc qu'ils ne sont pas éternels, qu'ils sont devenus des dieux mais ne l'étaient pas avant ce commencement, qu'ils ne sont pas des dieux puisqu'ils ont été précédés par d'autres êtres ayant créé les conditions de leur commencement, ce qui est incompatible avec le judaïsme et avec l'islam. Eh bien ! en Occident, un écrivain comme Hésiode dès l'ère archaïque a écrit un tel livre athée, impliquant que dans la civilisation occidentale les dieux ne restent pas dieux très longtemps, parce que les Occidentaux sont obsédés par le réel et que tôt ou tard le réel contredit ce que les dogmes divins racontent. La recherche obsédée sur l'origine réelle du christianisme initiée par les Occidentaux à la Renaissance, qui s'est accélérée à partir du XIXème siècle, qui a abouti à la désertion des églises au XXème siècle, est une attitude typiquement occidentale sans équivalent dans les autres civilisations : les Occidentaux modernes, à l'instar de leurs ancêtres grecs, ne croient plus dans le Dieu chrétien, pendant un peu plus de mille ans ils ont associé le nom "Dieu" à la notion d'ordre cosmique comme jadis les Grecs ont associé le nom "Aphrodite" à la notion de beauté et le nom "Dionysos" à la notion d'ivresse, mais à partir de la Renaissance vers 1492 ils ont perdu la foi dans la prétendue réalité de Dieu comme leurs ancêtres grecs à partir de l'éruption de Santorin vers -1600 ont perdu la foi dans la prétendue réalité d'Aphrodite et la prétendue réalité de Dionysos, ils se sont interrogés sur la vérité des personnes cachées derrière le nom "Dieu" (Jésus, Paul, les évangélistes…) comme leurs ancêtres grecs se sont interrogés sur la vérité des personnes cachées derrière les noms "Aphrodite" (les Levantins adorateurs d'El-Anu/Ouranos installés à Chypre et à Cythère, peut-être originaires d'Ascalon selon Hérodote, Histoire I.105) et "Dionysos" (les Levantins adorateurs d'Osiris, ou le fils d'Ammon roi des Atlantes, ou le fils de Sémélé à Thèbes), alors ils ont commencé à chercher dans des nouveaux domaines des réponses à leurs questions sur l'ordre universel comme après -1600 leurs ancêtres grecs ont commencé à chercher dans des nouveaux domaines des réponses à leurs questions sur la beauté ou sur l'ivresse, en continuant néanmoins d'utiliser le mot "Dieu" par commodité dans leurs discussions ordinaires sur l'ordre cosmique comme jadis leurs ancêtres grecs ont continué d'utiliser les mots "Aphrodite" ou "Dionysos" dans leurs discussions ordinaires sur la beauté ou sur l'ivresse. Notre présente recherche sur la réalité de l'Antiquité grecque est un lointain avatar de la Théogonie d'Hésiode (qui témoigne que l'âme occidentale est toujours bien vivante en l'an 2000 !). Cette manie occidentale pour le concret, le tangible, le bon sens, l'évidence, les "lois non-écrites" selon l'expression de Sophocle, est dévastatrice pour la civilisation occidentale elle-même qui, en ruinant régulièrement ses dieux, tombe parfois dans des âges de transition très précaires qui durent plusieurs siècles avant l'émergence de nouveaux dieux (comme l'ère des Ages obscurs, ou le haut Moyen Age ; c'est ce qu'explique le vieux prêtre de Saïs à Solon au début du VIème siècle av. J.-C. dans Platon, Timée 21e-23c précité, l'Occidental ne vieillit jamais parce qu'il se suicide régulièrement sous l'emblème de tels anciens dieux dégénérés avant de renaître sous l'emblème de tels nouveaux dieux régénérés). Elle est dévastatrice aussi pour toutes les autres civilisations car, pour démythifier ses propres dieux, l'Occidental doit démythifier aussi les dieux des autres civilisations avec lesquelles il a été en contact, ainsi il finit presque toujours par mieux appréhender l'Histoire des non-Occidentaux que ceux-ci ne l'appréhendent eux-mêmes (les plus grands spécialistes de l'Histoire réelle du judaïsme, de l'islam, de la Chine, de l'Inde, de la Papouasie ou de la Laponie, ne sont pas des juifs, des musulmans, des Chinois, des Indiens, des Papous ou des Lapons, qui rechignent majoritairement à débattre des fondements de leurs traditions et de leurs livres sacrés, mais des Occidentaux). La Théogonie d'Hésiode interpelle aussi sur son introduction, en forme d'invocation aux Muses. Pour reconstituer les conditions ayant favorisé la naissance des dieux, Hésiode ne reste pas dans sa cité d'Ascra (38°19'37"N 23°04'27"E) au milieu de la foule qui récite mécaniquement les dogmes divins de son époque, il profite de ses déplacements avec ses bêtes pour se mettre à l'écart, il se promène seul dans les brumes du mont Hélicon pour examiner les données qu'il a collectées, les synthétiser, structurer sa pensée, ou, pour reprendre son expression, écouter les Muses ("Après avoir lavé leur tendre corps à l'eau du Permessos [flanc est du mont Hélicon, 38°19'12"N 23°03'24"E] ou de l'Hippokrènè [flanc nord-est du mont Hélicon, 38°19'31"N 23°01'47"E] ou de l'Olmeios [non identifié] divins, elles [les Muses] forment des chœurs beaux et charmants au sommet de l'Hélicon où ont voltigé leurs pas, puis elles s'éloignent vêtues de brumes épaisses et, cheminant dans la nuit, émettent un merveilleux concert", Hésiode, Théogonie 5-10). Dans l'esprit d'un Grec antique, les Muses ne sont pas ce qu'elles deviendront plus tard, des sortes de fées apportant l'inspiration au poète ou au peintre ou au musicien (qui leur doit son nom), elles incarnent le Savoir, chacune dans un domaine. Elles sont neuf sœurs, ayant pour mère "Mnémosyne/MnhmosÚnh" sœur de Kronos (selon Hésiode, Théogonie 135 précité, et selon pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 1.3 précité), qui incarnera la notion de "Mémoire", et pour père Zeus, elles sont des Olympiennes, elles n'existaient pas à l'époque des Titans, autrement dit la "Mémoire/MnhmosÚnh" et le Savoir n'existaient pas avant le renversement de Kronos et l'intronisation de Zeus sur le mont Olympe, le passé et la connaissance n'intéressaient pas Kronos puisque Kronos se croyait éternel, la notion d'Histoire était inconcevable pour les sujets de Kronos puisque les sujets de Kronos croyaient que les choses étaient immuables dans un calendrier millénaire sans origine ("En Piérie, en s'unissant au fils de Kronos [Zeus], Mnémosyne qui régnait sur les collines d'Eleuthère [aujourd'hui le fleuve al-Kabir, servant de frontière entre la Syrie et le Liban, qui se jette dans la mer Méditerranée près de la ville d'Arrida au Liban, 34°38'00"N 35°58'38"E, sur la côte phénicienne, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Byblos/Jbayl où Kronos est né selon Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique I.10 précité ?] enfanta celles [les Muses] qui procurent l'oubli des maux et la trêve des soucis. Durant neuf nuits, le prudent Zeus monta sur le lit sacré pour s'unir à elle, loin des Immortels. Après un an, les saisons ayant accompli leur cycle, elle accoucha de neuf filles au même esprit, sensibles au chant, l'âme sans chagrin, près de la plus haute cime de l'Olympe neigeux", Hésiode, Théogonie 52-62 ; "[Zeus] aima Mnémosyne aux beaux cheveux, qui lui donna les neuf Muses au bandeau d'or, agréments des banquets et charmes des aèdes", Hésiode, Théogonie 915-917). L'aînée est Calliope, puis vient Clio, Euterpe, Thalie, Melpomène, Terpsichore, Erato, Polymnie et Uranie (selon Hésiode, Théogonie 77-79 ; pseudo-Apollodore donne les mêmes noms dans un ordre différent ["De Mnémosyne [Zeus eut] les Muses, d'abord Calliope, ensuite Clio, Melpomène, Euterpe, Erato, Terpsichore, Uranie, Thalie et Polymnie", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 3.1]). Calliope guide les auteurs épiques, qui orientent le peuple vers le futur par l'exposé instructif des exploits passés d'hommes ou de communautés à un moment particulier de leur vie. Clio guide les historiens, qui rétablissent la vérité du passé, Clio est la correctrice, la modératrice de sa sœur Calliope, elle tempère les envolées des auteurs épiques par le pragmatisme des historiens. Euterpe guide les esthètes, qui donnent une enveloppe, une forme ("™sq»j/habit" dérivera en "vestis" en latin, puis en "veste" et "vêtement" en français) aux choses afin de les rendre perceptibles par les sens ("a„sq£nomai"), qui les embellissent, les agrémentent, les rendent attractives, notamment les musiciens (Euterpe est souvent représentée tenant un instrument à vent, aulos ou flûte simple). Thalie guide les individus exubérants, débordants, expansifs, généreux, notamment les comédiens, comme son nom le sous-entend ("Thalie/Qal…a" dérive de "q£llw/fleurir, prospérer, abonder, croître"). Melpomène guide au contraire les pointilleux, les précis, les insistants, les tenaces, notamment les tragédiens, comme son nom le sous-entend aussi ("Melpomène/Melpomšnh" dérive de "mšlpw/résonner, retentir, prolonger"), Melpomène est l'appoint inversé de sa sœur Thalie. Terpsichore guide les danseurs, qui s'expriment par les mouvements du corps. Erato guide les voluptueux, qui s'expriment par le plaisir, comme son nom le sous-entend encore ("Erato/Eratè" dérive d'"Eros/Eroj" le dieu du plaisir, de la passion, d'où descendra l'"érotisme" en français). Polymnie guide les rhéteurs, les éloquents, ou littéralement ceux qui recourent à de "multiples/polÚ hymnes/Ûmnoj" afin de convaincre leurs auditeurs ou leurs lecteurs. Uranie guide les astronomes, qui s'intéressent aux choses célestes et, par suite, ont une hauteur de vue sur les choses terrestres, comme son nom le sous-entend également ("Uranie/OÙran…a" n'est qu'une féminisation d'"Ouranos/OÙranÒj", le ciel, père de Kronos et grand-père de Zeus). En sollicitant l'aide de toutes les Muses, et non pas d'une seule, Hésiode signifie sa volonté de recourir à tous les moyens offerts par ces Muses pour solidifier son discours, tantôt la profusion de Thalie, tantôt la précision de Melpomène, ici la musicalité d'Euterpe, là la sensualité d'Erato, partout la syntaxe de Polymnie, en conservant toujours la hauteur astronomique d'Uranie. Le dialogue d'Hésiode avec les Muses est un dialogue avec le Savoir. Celui qui ne fréquente pas les Muses reste un barbare, un ignorant, un naïf manipulable et manipulé, en revanche celui qui les fréquente maîtrise les choses et les hommes, il devient un demi-dieu car il sait la justice, il sait le vrai et le faux dont il peut user pour influencer autrui, il sait les mots exacts pour décrire les événements, les caractères, le monde ("Quand les filles du grand Zeus veulent honorer l'un de ses nourrissons, dès qu'il vient au monde elles versent sur sa langue une douce rosée, et les mots s'écoulent de sa bouche comme le miel. Tous les peuples le voient dispenser la justice avec droiture, il parle infailliblement pour apaiser les grandes querelles, en roi prudent il sait lancer les mots apaisants en public afin de restituer leurs biens aux hommes lésés, quand il avance au milieu des assemblées on le fête comme un dieu pour sa douceur de miel, il brille parmi la foule. Tel est le don que les saintes Muses accordent aux hommes", Hésiode, Théogonie 81-93). Aidé par les Muses, Hésiode accède à la Connaissance, il devient un voyant sur le passé et sur le présent. La Théogonie découle moins d'une volonté de poésie, par essence plus ou moins mensongère, que d'une volonté de Vérité, dont les Muses sont les détentrices précautionneuses ("Elles [les Muses] apprirent à Hésiode un beau chant un jour qu'il paissait ses agneaux au pied de l'Hélicon divin. Voici les premiers mots que les déesses m'adressèrent, Muses olympiennes, filles de Zeus qui porte l'égide : ‟Pâtres des champs, tristes et vils, simples ventres, nous savons conter des mensonges semblables à des vérités, mais nous savons aussi proclamer des vérités quand nous le voulons”", Hésiode, Théogonie 22-28), elle est le résultat des lectures et des méditations d'Hésiode quand il garde son troupeau sur le mont Hélicon, un système organisé d'informations glanées ici et là, en ce sens la Théogonie est la plus ancienne œuvre scientifique conservée puisque, selon la définition traditionnelle, la science est une construction ordonnée de postulats. Hésiode commence son introduction en appelant les Muses ("Muses héliconiennes je vous chante pour commencer, reines de d'Hélicon, grande et divine montagne", Hésiode, Théogonie 1-2), il la termine une centaine de vers plus loin en leur demandant de l'éclairer sur l'origine de la Grèce, sur les événements ayant amené les Grecs à voir dans le mont Olympe le lieu où, pour eux, tout a débuté ("Salut, filles de Zeus, donnez-moi votre voix ravissante. Chantez la race sacrée des immortels issus de Gaia et d'Ouranos couronné d'étoiles, nés de la noire Nyktos ou de l'amer Pontos. Dites comment naquirent les dieux, la terre, les fleuves, l'immense mer aux flots bouillonnants, les astres étincelants, le vaste ciel qui les domine, comment entre eux ils partagèrent les richesses et répartirent les honneurs, comment ils s'installèrent sur l'Olympe aux nombreux sommets. Dites-moi tout Muses, habitantes de l'Olympe, depuis le début, dites-moi d'abord comment tout a commencé", Hésiode, Théogonie 104-115). Hésiode sera suivi par d'autres obsédés du Savoir, les "savants/sofÒj" puis les "philosophes/filÒsofoj" ("amis des savants"), dont Thalès, Anaximandre, Anaximène, Pythagore, Héraclite, Anaxagore, Antiphon, Démocrite, qui rédigeront des œuvres cosmologiques similaires à la Théogonie, aspirant à donner de l'univers une représentation cohérente et rigoureuse, à expliquer le maximum d'aspects du monde en recourant à un minimum de présupposés et d'axiomes, titrés ou sous-titrés pour cette raison Sur la nature/Per… fÚsewj, qui hélas n'ont survécu aux siècles qu'à l'état fragmentaire. Le long monologue de Timée dans le Timée de Platon, datant du IVème siècle av. J.-C., est l'un de ces Sur la nature/Per… fÚsewj issus de la Théogonie d'Hésiode prétendant expliquer l'origine et le fonctionnement du monde, le plus ancien conservé en entier. Refusant l'idée que les personnages de la mythologie grecque puissent avoir une quelconque réalité, Timée imagine un être aux dimensions de l'univers rappelant le Noos d'Anaxagore, annonçant l'être suprême que les chrétiens désigneront par le mot "Dieu", "démiurge/dhmiourgÕj" et "père/pat»r" des personnages de la mythologie grecque, qui ne sont donc pas des dieux mais des fantoches de cet être suprême universel ("Faisons confiance à ceux qui ont parlé [des dieux] avant nous et s'en prétendent les descendants : je suppose qu'ils savent ce qu'ils disent sur leurs ancêtres. Oui, faisons confiance aux enfants des dieux, même si leur discours n'est ni vraisemblable ni rigoureux, suivons l'usage en adhérant à leurs affaires familiales, et répétons après eux la généalogie divine. Gaia et Ouranos engendrèrent Océan et Téthys, qui engendrèrent à leur tour Phorkys, Kronos, Rhéa et tous leurs frères et sœurs, puis Kronos et Rhéa donnèrent naissance à Zeus, Héra et tous ceux que la tradition présente comme leurs frères et sœurs, et les autres qui descendent de ces derniers [généalogie volontairement différente de celle véhiculée par la tradition majoritaire, qui considère notamment Kronos et Rhéa comme les enfants de Gaïa et Ouranos : en triturant ainsi la mythologie grecque, Platon tourne en dérision les désaccords des mythologues entre eux, et souligne à quel point ces désaccords n'ont aucune importance puisque les soi-disant dieux de cette mythologie sont en fait des faux dieux]. Quand tous ces dieux, les uns dont nous observons les évolutions circulaires et les autres qui se montrent seulement quand ils en ont envie [nouvelle ironie de Platon, qui souligne encore la fausseté des dieux de la mythologie grecque, esclaves d'une tâche particulière, ou toujours absents quand on a besoin d'eux], furent nés, le dieu créateur de l'univers leur dit : “Dieux issus de dieux, je souhaite que les œuvres dont je suis le démiurge et le père demeurent indissolubles, même si un être méchant peut toujours casser ce qui est harmonieux et en bon état. C'est pourquoi, malgré votre naissance qui implique la mort et la dissolution, vous ne connaîtrez jamais la dissolution ni la mort, car j'ai voulu vous lier par un lien plus fort et plus puissant que celui de votre naissance”", Platon, Timée 40e-41b). Le sujet de la Théogonie d'Hésiode, enfin, témoigne non seulement que les Grecs ne croient plus dans les dieux, mais encore révèle pourquoi ils n'y croient plus, en nous ramenant au cœur de notre étude sur l'éruption de Santorin. Nous avons vu précédemment que dans le monde méditerranéen oriental avant l'éruption de Santorin la pratique du sacrifice des prémices, l'exécution rituelle d'enfants, est largement répandue. L'éruption de Santorin change complètement le regard des survivants sur cette pratique. Jusqu'alors confiants dans les dieux, auxquels ils sacrifiaient leur bien le plus précieux, leur progéniture aînée, dans l'espoir que les dieux leur apportent protection et prospérité en retour, certains d'entre eux ne comprennent pas le cataclysme qui s'est produit à Santorin, ou plus exactement ils concluent que les dieux sont méchants puisqu'ils provoquent un cataclysme dévastateur au lieu de leur apporter protection et prospérité, ou que les dieux n'existent simplement pas, en tous cas que le sacrifice des prémices ne se justifie plus, et qu'ils doivent trouver seuls un moyen de parer à tout nouveau cataclysme identique. Leur première interrogation est : "Avons-nous des raisons valables de considérer que les dieux sont vraiment des dieux, plutôt que des filous ou des petits chefs ordinaires qui, dans un contexte particulier, nous sont apparus à tort comme des dieux ?". La Théogonie d'Hésiode et toutes les autres théogonies antérieures dont Hésiode s'est inspiré mais qui n'ont pas survécu, celles que Diodore de Sicile, pseudo-Apollodore et Ovide avaient encore dans leurs mains à leur époque, celle d'Orphée de la fin de l'ère mycénienne, veulent répondre à cette interrogation. Elles montrent que l'Histoire avant Zeus n'était qu'une suite d'infanticides, Ouranos désirant exécuter son fils Kronos, Kronos désirant exécuter son fils Zeus, celui-ci et celui-là espérant par ce moyen maintenir l'ordre universel, or cela n'a conduit qu'à un cataclysme monstrueux. Zeus est l'un des nombreux enfants destinés à être exécutés rituellement, qui refuse ce destin fatal, et qui profite du cataclysme monstrueux pour dire aux autres enfants comme lui : "Qu'est-ce que c'est que cette foi pourrie implantée partout en Méditerranée orientale obligeant les pères à tuer leurs fils au nom de prétendus dieux bienveillants ? Voyez le cataclysme monstrueux que ces prétendus dieux ont infligé, ou n'ont pas empêché, contre nos pères ! Comment nos pères survivants peuvent-ils continuer à vénérer ces soi-disant dieux ? Dans quelle secte sont-ils enfermés pour continuer à croire, comme certains d'entre eux l'affirment, que ce cataclysme a été provoqué par des dieux furieux du fait que nous n'avons pas accepté d'être exécutés docilement, comment peuvent-ils continuer à penser que les prêtres louant ces dieux infanticides sont des gens sains et positifs ? Comment peuvent-ils nous reprocher de vouloir vivre ? Comment peuvent-ils vénérer des gourous qui leur disent que nous sommes coupables de vivre ?". La conséquence de ce soulèvement de Zeus et de ses semblables, auxquels se joignent opportunément les Achéens indoeuropéens, est une guerre ouverte entre le fils et le père, entre Zeus et Kronos. Et Zeus, en vainquant Kronos, ne peut plus se revendiquer des dieux puisqu'il a déclenché la guerre afin d'abolir le règne des dieux. Zeus et tous ceux qui l'entourent instaurent une nouvelle civilisation se caractérisant non pas par son sang, puisqu'elle mélange des Sémites révoltés - comme Zeus - et des Indoeuropéens, mais par des individus désireux de chercher des palliatifs aux dieux infanticides sémitiques dominant alors la Méditerranée orientale. La Grèce, et au-delà l'Occident, n'est pas un avatar du Moyen-Orient sémitique ancien car elle naît justement par son rejet farouche du Moyen-Orient sémitique ancien. Les Grecs, et au-delà les Occidentaux, ne sont pas débiteurs des Sémites moyen-orientaux anciens car ils se définissent justement par leur hostilité, par leur rupture radicale contre les Sémites moyen-orientaux anciens. Oui Zeus est un Sémite, mais la Grèce qui accouche sous son égide ne doit rien aux Sémites car Zeus s'impose justement le jour où il crache sur sa nature sémitique en criant à son père Kronos : "Je ne suis plus un Sémite, car les Sémites sont des fous fétichistes et infanticides ! Moi et mes alliés indoeuropéens fondons ici, autour du mont Olympe, une nouvelle communauté où dominera la raison, le Logos, les lois non-écrites que nous chercherons à élucider !". Nous avons constaté plus haut qu'Hésiode et ses pairs considèrent que tout ce qui a existé avant la guerre entre Kronos et Zeus est sans intérêt, réductible à l'image d'un "chaos/c£oj" informe et insignifiant : au terme de notre analyse, nous voyons qu'Hésiode et les Grecs en général considèrent Kronos comme le dernier représentant de ce chaos, l'emprisonnement de Kronos par Zeus signifie l'emprisonnement de ce chaos que Kronos a porté, et le début d'une Histoire exécrant ce chaos emprisonné, une table rase du passé jugé raté, mauvais, malveillant, absurde. L'année du cataclysme monstrueux ayant conduit à la victoire de Zeus, correspondant à l'éruption de Santorin vers -1600, constitue l'an 0 de la civilisation occidentale. La défaite de Kronos, dont Zeus accapare le trône mais rejette les dieux, constitue pour les Grecs le début de l'Histoire occidentale ou, pour utiliser le terme approprié, le début du Temps : au fil des siècles, les auteurs grecs changeront le kappa initial du nom "Kronos/KrÒnoj" en chi pour créer le mot "Chronos/CrÒnoj" ("Temps" en grec), signifiant que l'abaissement du premier équivaut à l'émergence du second, la fin d'une barbarie sans âge et le début d'une civilisation marquée par des avants et des après, par des évolutions constantes et des expériences formatrices vers le Savoir. Plusieurs siècles seront certes nécessaires pour que la pratique du sacrifice des prémices disparaisse définitivement dans le territoire autour du mont Olympe, comme nous l'avons vu précédemment certains notables continentaux et insulaires recourront encore parfois au sacrifice rituel de leurs enfants parce qu'ils seront en situation critique et qu'ils croiront résoudre cette situation en ressuscitant l'ancien usage minoen après avoir échoué par tous les autres moyens à leur disposition, mais ces résurgences infanticides ponctuelles seront de plus en plus marginales, les dieux ne parviendront jamais à revivre assez longtemps pour restaurer leur vieil ordre inhumain. Une nouvelle dynamique est lancée. Après un sacrifice qui attirera la réprobation générale des Grecs contre son organisateur, l'un des derniers en Occident dont la postérité a conservé le souvenir, celui d'Iphigénie par son père le roi Agamemnon espérant ainsi inciter les dieux des vents à souffler afin de débloquer la flotte grecque du port d'Aulis à la fin de l'ère mycénienne, le rationalisme et le bon sens s'imposeront partout en Grèce, même dans les situations désespérées, les Grecs finiront par juger que leur singularité, et leur supériorité civilisationnelle, se caractérise justement par leur volonté de créer du rationalisme et de répandre du bon sens dans les territoires des barbares continuant à pratiquer des rituels sanglants au nom de dieux qui n'existent pas, par leur volonté de soumettre toujours les lois écrites des politiciens et des religieux aux lois non-écrites de la nature et du deux-et-deux-font-quatre. La plus ancienne occurrence connue du mot "tyran/tÚrannoj" se trouve sous la plume d'Archiloque au début de l'ère archaïque, dans un fragment qui divise encore les hellénistes (cité par Plutarque, Sur la tranquillité de l'âme), et qui les divisera tant qu'on n'aura pas retrouvé d'autres parties du poème auquel ce fragment appartient : est-ce un mot antérieur à Archiloque, ou est-ce un mot inventé par Archiloque dans le cadre de ce poème ? Peu importe. Dans les deux hypothèses Archiloque emploie "tyran" pour qualifier Gygès roi de Lydie se comportant comme les chefs minoens jadis, imposant au peuple ses décisions personnelles sanglantes et abêtissantes sous le prétexte mensonger que celles-ci lui sont dictées par des dieux, or le mot "tyran" dérive de l'étymon "trʃ" utilisé par les Sémites de l'ère minoenne pour se désigner eux-mêmes, Archiloque se place donc dans la droite filiation athée de Zeus et de la Théogonie d'Hésiode en conférant au mot "tyran", grâce à son génie poétique, un sens négatif et un poids fatal pour tous ceux qui en seront affublés dans le monde occidental après lui, jusqu'à aujourd'hui. Dans Timée et Critias, Platon suggère que les Minoens/Atlantes ont été rejetés et vaincus par les Grecs/Athéniens à cause de leur impérialisme tyrannique, mais en fait les Minoens/Atlantes ont été rejetés et vaincus par les Grecs/Athéniens à cause de leurs dieux et de leurs usages divins infanticides qui justifiaient cet impérialisme tyrannique, et qui sont apparus sans objet après l'éruption de Santorin. Platon voit la fin des Atlantes/Minoens comme un effondrement civilisationnel, mais la réalité que Platon cache - parce qu'elle embarrasse son projet politique développé dans La République - est que cet effondrement civilisationnel minoen/atlante coïncide avec la naissance d'une nouvelle civilisation en réaction : celle dont est issue l'Athènes athée des Vème et IVème siècles av. J.-C. qui lui pardonne son égarement dans la dictature des Trente et l'autorise à revenir s'installer et enseigner dans le jardin de l'Académie, la civilisation occidentale qui se perpétuera dans les Antigones de la Grèce jusqu'à l'ère hellénistique, puis dans les Antigones de Rome, puis dans les Antigones de la France jusqu'à aujourd'hui.

  

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